Derrière l’acronyme barbare PbtA (Powered by the Apocalypse, ou motorisé par le système Apocalypse) se cachent un grand nombre de jeux qui partagent les concepts et la mécanique du jeu Apocalypse World sorti en 2010 de l’imagination de Vincent D. Baker, l’un des membres influants du forum The Forge. Nourri aux concepts forgiens, ce jeu a donné naissance à toute une série de jeux aux thèmes et styles différents mais qui partagent un concept fort : quel que soit le résultat des dés, il se passera toujours quelque chose.
Jeu à la mode ou véritable nouveau mode de jeu ? Les PbtA sont aujourd’hui assez nombreux pour proposer différents univers à découvrir. Ils séduisent aussi bien pour les débutants (Dungeon World) que pour les joueurs aguerris (Apocalypse World). Le PbtA n’est pourtant pas un système de jeu générique car, à la différence du D20 SYSTEM ou d’un GURPS, seuls ses grands concepts et la base de la mécanique sont repris dans les différentes productions. Toutefois, se plonger dans un jeu motorisé par le système Apocalypse est loin d’être simple pour une première partie que ce soit côté MJ que côté des joueurs. Il faudra réapprendre le jeu de rôle et oublier certains réflexes.
« Le système désigne les moyens que le groupe utilise pour imaginer les événements se déroulant au cours de la partie » – Vincent D. Baker
L’histoire, composée de toute la suite des événements, va émerger du jeu, pas seulement de l’imaginaire du maître de jeu. Il se passera toujours quelque chose : l’échec ne sera jamais sans conséquences sur l’histoire car il générera un événement.
Les concepts importants
Les mécaniques des PbtA pourrait être au jeu de rôle classique ce que les échecs sont aux jeux de plateau : il n’y a pas de place à la libre interprétation des règles, tout est codifié et les règles n’offrent aucune équivoque, si ce n’est parfois la trop faible description de celles-ci dans certains jeux.
2D6+Cool
La base du système repose sur une mécanique des plus simples, chaque action est résolue par le jet de 2D6 auxquels s’ajoute un modificateur allant de -3 à +3 (en gros). Ce modificateur peut-être issu d’un attribut du personnage, d’un talent particulier, d’un rang, d’une action… bref, tout fonctionne avec 2D6 + modificateur. Pour réussir l’action, le joueur doit faire plus de 6 au total, si il obtient un résultat entre 7 et 9 (7-9), l’action est réussie mais partiellement ou avec un coût pour le joueur. Au delà de 9 (10+), l’action est une réussite parfaite. En dessous de 7 (6-), ce n’est pas forcément raté… mais il se passera quelque chose, la main passe au maître de jeu qui se charge de le déterminer, mais le personnage gagne de l’expérience.
Le maître de jeu ne lance jamais les dés, tout est entre les mains des joueurs. Ainsi, si le résultat d’une action est « le joueur inflige 1D10 points de dégâts à son adversaire et subit 1D6 de dégâts par l’attaque de son adversaire » le joueur lancera 1D10 pour déterminer les dommages qu’il inflige à son adversaire et 1D6 pour déterminer les dommages qu’il subit. Ce principe fluidifie grandement le jeu puisque seules les actions des joueurs déclenchent un jet de dés et ils seront les seuls à les lancer. Cette notion va très loin, car si dans Dungeon World, le MJ décide qu’un joueur subit des dommages (une action de MJ, nous y reviendrons), il n’y a ni jet d’attaque, ni jet de défense, il prend les dommages indiqués et basta…
Les désignations des caractéristiques varient selon le jeu pour refléter au mieux son ambiance. Ainsi, dans DungeonWorld, les caractéristiques donjonesques sont reprises, depuis la Force, jusqu’à la Sagesse, alors que Apocalypse World utilise Cool, Dur, Sexy, Rusé et Zarb ou encore Attitude, Cran, Arnarque, Sauvagerie, et Grillé dans Cartel.
Les actions
Quel attribut ? Quelle compétence ? Contrairement à beaucoup de jeux, il n’existe pas de longues listes d’attributs, de caractéristiques secondaires, de compétences… Une poignée d’attributs donne des indications chiffrées pour les modificateurs et rien d’autre.
A la place, les règles décrivent plusieurs actions qui codifient les situations et déterminent quand il sera nécessaire de jeter les dés pour déterminer la suite des événements. Ainsi, le joueur ne décide pas de faire appel à sa compétence « attaquer » ou encore « parer » pour combattre son adversaire, mais il va décrire ce qu’il fait et, si ça correspond à une action pouvant être réalisée par son personnage, il lancera les dés correspondants à celle-ci. Ici, nous allons surtout nous intéresser aux conséquences de l’action sur l’histoire. Selon la réussite (10+ ou 7-9), quelque chose arrivera et le joueur décidera de comment se traduit sa réussite à l’aide des indications fournies par la description de l’action.
Dans Dungeons World, , voici les actions de base accessibles à tous les personnages :
Donc, en combat, les joueurs qui décrivent des actions offensives vont donc tailler en pièces. Ce seul jet permet de déterminer si l’attaque du personnage passe et s’il parvient à se défendre. Cette notion est très importante aussi : il n’y a pas de jets en réaction comme dans beaucoup de jeux, un seul jet va déterminer à la fois l’action et sa réaction. Il n’y a pas non plus de modificateurs de situations, de longues listes de tableaux complémentaires pour prendre en compte des situations toutes plus improbables ou abérrantes les unes que les autres. Les actions permettent un jeu fluide et rapide tourné essentiellement sur les héros de l’histoire : les personnages des joueurs !
Le playbook
Les actions sont très codifiées, mais pourtant, les règles ne s’étalent pas sur 200 pages fourmillant de détails. Les PbtA sont un modèle d’ergonomie et d’accessibilité : tout se trouve sur la fiche de personnage ! Un rôle détermine plusieurs actions qui lui sont spécifiques, plus un lot d’actions génériques que tout personnage peut réaliser… ou pourra réaliser puisque toute la progression d’un personnage est déjà présentée sur cette feuille. Les feuilles sont regroupées dans un livret appelé généralement le playbook contenant tous les rôles qui peuvent être incarné dans le jeu.
La création d’un personnage se limite donc au choix d’un rôle et à la personnalisation de celui-ci en sélectionnant une ou plusieurs actions de base liées au rôle incarné. Créer un personnage demande moins de cinq minutes montre en main pour un joueur qui connaît le jeu… et une petite dizaine de minutes pour des novices. Point intéressant, il ne peut y avoir deux joueurs qui incarnent le même rôle à la table ! Les rôles sont totalement inspirés de la thématique du jeu. Ainsi, dans Cartel, les joueurs pourront incarner les membres d’un gang sud-américain : el cocinero, el halcòn, el narco…
Un temps de parole codifié
Que se passe-t-il sur un 6- ? Le MJ prend la parole pour décrire une situation. Le MJ n’est pas le maître tout puissant du jeu, il est un joueur comme un autre, contraint aux règles comme tous. Les règles sont elles aussi décomposées en actions côté MJ. Il ne pourra mettre en oeuvre ses actions que sur un 6- pour réaliser une action en rapport avec l’action échouée par le personnage ou lorsque les joueurs « se taisent ». Toutefois, il doit, aussitôt l’action réalisée, leur rendre la parole en demandant « Que faites vous ? ». Nous avons juste avant listé les actions des personnages joueurs dans Dungeon World, voici un extrait de la liste des actions auxquelles le MJ doit se plier : montrez des signes d’une menace à venir, révélez une vérité indésirable, indiquez aux PJ les conditions ou les conséquences de leurs actions, offrez une opportunité aux PJ avec ou sans coût, créez une situation dans laquelle excelle une classe, déclenchez l’action d’un lieu ou d’un monstre…
Ici donc, il n’y a pas de longs monologues d’un MJ en mal d’interprétation mélo-dramatique, ni même de railshooter où les joueurs n’interviennent que pour lancer les dés. Le maître de jeu ne peut intervenir qu’à son tour en jouant, tout comme les autres participants, l’une de ses actions. Une fois cette action terminée, il passe la parole aux joueurs. Le système de jeu force donc le partage du temps de parole à la table entre les différents participants en permettant le revoie du résultat de l’action d’un joueur au maître de jeu qui va, par une de ses actions donner la parole à un autre joueur, sans pour autant se contraindre à un tour de table ordonné par un score ou une règle… Et ainsi de suite jusqu’à la fin de la partie.
Il se passera toujours quelque chose
Dernier ce slogan qui laisse sans doute perplexe la plupart des joueurs, se cache en fait une terrible vérité sur nos habitudes de jeu… ou plutôt nos travers. Combien d’action idéales pour débloquer une scène se soldent par : « il se passe rien », « tu ne vois rien », « tu ne trouves rien »… alors même que l’action était tout à fait pertinente, mais malheureusement, les dés en ont décidé autrement. Les compétences de perception sont clairement dans le viseur ici, surtout la plus emblématique de toutes : trouver objet caché de L’Appel de Cthulhu.
Cette compétence est peut-être l’une des compétences les plus connes qui existe quand elle est appliquée bêtement ! Oui, elle est totalement débile, principalement dans un jeu où chaque scénario officiel propose un panel d’aides de jeux à faire pâlir un archiviste. Vous pouvez très bien passer 3 heures à fouiller tous les tiroirs du bureau où devraient se trouver trois pages de registres dans lesquels est dissimulé un précieux indice sans même mettre la main desus. Pourquoi ? Tout se résoud à un bête jet de dés, sans modificateur de circonstance si on applique les règles à la lettre.
Vous allez me dire, oui, mais dans un PbtA, on peut retrouver les mêmes situations ? Et bien oui, mais en fait, non. Voir une compétence de collecte d’indices d’un PbtA comme par exemple Relever les indices dans Berlin XVIII comme un clone d’un trouver objet caché Cthulhien est une grossière erreur. L’échec ne sanctionne pas forcément la récupération ou non de l’indice. Ça, c’est très intéressant.
Relever les indices (+LOI). Quand tu effectues un travail d’investigation préliminaire pour découvrir des pistes ou des indices, comme interroger les riverains, fouiller le lieu du crime, etc., lance 2d6+LOI. Sur un 10+, tu tombes sur un indice compromettant. L’affaire gagne 1-preuve. Sur un 7-9, tu ne trouves rien en lien direct avec l’affaire mais une piste d’enquête parvient à filtrer malgré tout. Pose 1 question dans la liste suivante :
Est-ce qu’il y a un détail qui cloche ici ?
Qui a l’air particulièrement nerveux ?
Quelle infraction mineure commise ici me fournit un levier ?
Sur un 6-, pose quand même une question, mais à trop remuer la merde, attends-toi au pire.
Là où la compétence TOC donne la capacité du personnage à trouver un indice, son pendant berlinois lui regarde plus à la méthode employée pour trouver l’indice. Non, ce n’est pas une question de sémantique, mais une tout autre approche de l’utilisation d’une compétence. D’un côté, l’échec ne crée pas d’événement mais il annule simplement la possibilité de mettre à jour l’indice présent dans cette scène. Au résultat, le MJ expérimenté trouvera une raison pour faire relancer le dé, autorisera un bonus, ou ignorera simplement l’échec du personnage… Donc, pourquoi avoir demandé ce jet si c’est pour ne pas en tenir compte dans le cadre prévu ? Côté PbtA, dans tous les cas l’indice est trouvé. Si la réussite est très bonne (10+), le joueur trouve l’indice qui lui permet de faire avancer au mieux l’affaire. Mais si l’action échoue, il trouve les indices, mais la situation se complique : a-t-il perdu trop de temps ? la scène de crime a été trop retournée et son supérieur va lui faire passer un sale quart d’heure durant lequel il devra tout faire pour mettre en avant que la fin pourrait justifier les moyens ?
Préparer moins mais jouer plus
Les PBTA incitent le maître de jeu à jouer en bac à sable, c’est à dire, à créer au fil de l’eau la trame de la partie jouée à l’aide des apports de ses joueurs. Toutefois, ce point reste contrebalancé par l’utilisation de « micro-scènes » appelées les fronts dans les règles. Un front est un élément scénaristique préparé que le maître de jeu pourra mettre en place ou pas pendant la partie. Le conseil le plus important donné au MJ d’un PbtA est « Jouer pour découvrir ce qui va se passer ».
Ne pas écrire ! Mais jouer pour découvrir la suite
Contrairement à beaucoup d’autres jeux, la partie n’est pas préjouée sous la plume du maître de jeu. Même sans écrire un scénario linéaire, le maître a déjà pensé le déroulé de sa partie, et il fera surement en sorte, même inconsciemment, que ça se passe ainsi et pas autrement. Dans un PbtA, le maître de jeu ne prépare pas de scénario tout prêt, tout au plus, il va se préparer quelques fronts et rien d’autre, mais ça, nous en reparlerons juste après. C’est le point le plus déconcertant du jeu : pas de préparation pour le MJ ! Quelle hérésie !
Et bien non ! Pour une fois, le maître de jeu ne va pas jouer avec dix coups d’avance par rapport à ses joueurs, tout le monde va être égal à ses compagnons face à l’histoire qui va se créer. Bien entendu, vous aurez besoin de quelques notes, d’éléments pour démarrer… Ainsi, une carte d’une région, le plan d’un donjon et quelques PNJ seront nécessaires pour vous lancer dans une partie de Dungeon World, mais par contre, vous n’aurez pas besoin de doser le nombre d’orcs et de pièces d’or dans chaque salle, ni même de définir les pièges sournois que vous réserverez aux personnages joueurs à chaque serrure. Ces éléments apparaîtront d’eux mêmes, soit par les actions des joueurs, soit par les actions du MJ.
Les joueurs et leur apport au bac à sable
Dès l’introduction, ce sont les joueurs qui seront sollicités pour démarrer l’histoire. Pourquoi leurs personnages sont là, qu’on-t-ils fait avant ? Non, le maître de jeu n’est pas là pour imposer des motivations aux personnages, c’est aux joueurs de les apporter, le maître de jeu brodera ensuite autour. Tous les PbtA vous incitent à questionner vos joueurs pour qu’ils vous apporte la matière dont vous avez besoin pour faire avancer votre histoire. Ce n’est pas une tournure de phrase particulière employée par les auteurs du jeu, mais bel et bien un élément important à suivre. Vos joueurs ne viennent pas consommer du jeu de rôle, ils viennent y participer activement et totalement.
L’univers de jeu se résume souvent à quelques grandes lignes : il n’y a pas de carte du monde ni même le moindre nom de pays ou de cité dans Dungeon World, mais on sait qu’il y a des elfes, des nains et des orcs… Tout comme personne ne sait avant le début d’une partie quel cataclysme a subi la terre dans Apocalypse World. Dans ce dernier cas, découvrir ce qui s’est passé en sortant d’un refuge sera peut-être l’objectif global de l’aventure. Alors, virus qui a décimé la population mondiale en quelques mois ? Hiver nucléaire après une guerre mondiale ? Cataclysme naturel ? La réponse est entre les mains des joueurs et du maître de jeu. C’est en questionnant et en écoutant les joueurs que le monde va se révéler petit à petit. Les PbtA incitent à jouer en bac à sable et à laisser prendre la mayonnaise.
Gérer les sentorettes (™ et © Croc)
Dois-je rappeler ce qu’est une sentorette ? C’est ce joueur qui ne dit pas grand chose à la table, qui lance les dés quand on lui demande et qui agit après avoir demandé conseil aux autres joueurs et à son MJ… Bref, vous avez des sentorettes à la table ? Alors oubliez les PbtA ! De toute façon, le narrativisme, c’est nul, ça branle du manche et j’y crois pas.
Mais non ! Pas du tout ! Et même, un PbtA peut mieux leur convenir qu’un autre jeu. Pourquoi ? Parce qu’il présente un cadre rigide autour de ce qu’ils peuvent faire, proposer et improviser. Par contre, il faut leur laisser de la place à la table. Alors faites fermer la mouille à vos grandes gueules pour leur permettre de participer. Plus sérieusement, j’ai été surpris par la facilité que peut avoir un joueur débutant, un enfant ou un joueur un peu timide à participer sur Dungeon World. Le concept de classe de personnage poussée à l’extrême permet de rendre chaque personnage aussi important que les autres, donc, il n’y aura pas de rôles principaux et secondaires à la table. De plus, presque tous les jeux incitent les joueurs à établir des liens entre leurs personnages, ainsi, un joueur avec moins d’imagination qu’un autre pourra puiser dans les informations données par un autre joueur et les liens qu’il dispose avec lui pour broder une courte histoire.
Autre point de blocage facilement levé avec les joueurs est le choix des options ou de ce qui peut se faire. La codification simple des actions de décrire vite fait ce que le personnage tente, par exemple « j’attaque l’orc ». Il n’y a pas de recherche tactique ou d’exploitation technique d’une règle puisque tout se résoud simplement. Vous retrouverez sans doute le même résultat avec une action étaler sa science réalisée par un joueur timide… En apportant un début de réponse, il n’aura pas de mal à broder un peu dessus pour apporter un complément.
Encore une fois, tous ces points sont dans les règles et ces dernières doivent être exploitées et pas ignorées !
Les règles, rien que les règles et juste les règles
Les PbtA sont tous issus des mêmes paradigmes de gamedesign, avec un objectif principal : perdre le moins de temps à la table dans des moments hors-jeux. Qui n’a pas connu une interruption dans une partie pour une recherche critique dans un manuel d’une règle peu utilisée mais difficile à mettre en oeuvre ? Ou encore ce point d’interprétation d’une règle sur lequel chacun a son avis et qui va faire qu’on passera une bonne partie de notre temps de jeu à débattre de son application… Comment vous éviter ces longues discussions ? En ignorant ou en ajustant la règle qui vous ennuie… Dans un PbtA limitez-vous aux règles et appliquez-les ! Que vous soyez joueur ou maître de jeu, vous serez tous égaux face aux règles. De plus, les règles sont pensées narration, comme déjà évoqué, elles apportent toujours des options pour faire avancer l’histoire.
Tout d’abord, les règles doivent être lues en entier et comprises. C’est un peu une habitude perdue non ? Dans le cas de beaucoup de jeux, les joueurs survolent les règles car elles utilisent habituellement des concepts déjà connus et assez standard. Que vous lisiez Donjons & Dragons 3.5 ou Rolemaster, finalement, le concept reste similaire : le joueur décide d’utiliser telle ou telle faculté, lance les dés considéré par le système face à une difficulté relevant de la compétence utilisée et de la situation, puis on passe au joueur suivant. Pour permettre à tous d’accéder aux règles, elles sont réduites à l’essentiel et toutes les actions pouvant être réalisées sont mises à disposition de tous les joueurs directement sur leurs fiches de personnages.
Ensuite, lors de la partie, appliquez les toutes sans les interpréter ou les ignorer. Dans un jeu classique, le focus est essentiellement fait sur la mécanique, ensuite, le maître de jeu ou le joueur qui réalise l’action décide de ce qui se passe… Voire le jet de dé n’a aucune influence « réelle » sur la suite. Ici non, le focus est fait sur les conséquences de l’action sur l’histoire. Les conséquences sont prévues par les actions, elles doivent être appliquées à la lettre car ce sont elles qui créent la suite de l’histoire. Donc, les règles d’un PbtA ne sont pas juste un outil pour déterminer si l’action réussie ou échoue, elles permettent réellement de construire la suite de l’histoire en créant un événement aussi bien à partir d’une réussite que d’un échec. Il faut juste oublier un peu ses habitudes de rôlistes et faire en sorte qu’il ne se passe jamais « rien ».
Pour finir sur la question des règles, il faut une grosse remise en question de nos repères et de nos habitudes face au jeu de rôle :
- Non, les règles d’un jeu ne sont pas forcément un frein à l’imaginaire des joueurs, ici, les apportent des options et des bases pour imaginer et créer ;
- Non, les résultats des actions n’offrent pas des résultats « aléatoires » comme sur ces tableaux de rencontres donjonesques, mais ils offrent des opportunités pour continuer l’histoire ;
- Oui, on peut appliquer toutes les règles d’un jeu en cours de partie sans passer tout son temps ne nez coller sur des tableaux, ici, les règles tiennent sur un format A4 pour chaque participant.
Le mystère d’une porte close
Revenons un petit peu sur Dungeon World, ce retro-clone de Donjons & Dragons en version PbtA. Pour bien comprendre comment fonctionne les interactions entre les actions des joueurs et du maître de jeu sur le déroulement de l’histoire, je vous propose un exemple bateau et assez commun du dungeoncrawling : l’ouverture d’une porte vers la suite du donjon.
Version jeu classique, joueurs classiques et MJ classique
Dans D&D, comment ça se passe ? Habituellement, le joueur qui incarne le voleur va tenter son jet de crochetage, qu’il va surement rater au vu des chances de réussite ridicules pour un personnage débutant. Pas grave, le magicien prendra le relais quelques heures après avoir mémoriser le sort ouverture, les PJ camperont là pour la nuit pendant que le MJ tirera les dés pour savoir ce qui se passe… Bidon non ? Pourtant, c’est une scène très commune ! Attention, je ne critique pas les « autres » système de jeux, je veux juste mettre le doigt sur le fait qu’il est très facile d’en faire un mauvais usage parce que les participants autour de la table vont mal les exploiter. Pourquoi le guerrier du groupe ne tente pas de défoncer cette porte ? Parce que ça va faire du bruit sans doute, mais dans quelle mesure ce bruit va alerter quelqu’un : les règles de D&D ne proposaient finalement pas la suite pour déterminer les conséquences de cette action, laissant le tout entre les mains du maître de jeu.
Dans un PbtA
Dans Dungeon World, l’ouverture de cette porte va prendre un tout autre sens. Les personnages sont dans le hall du donjon à explorer et une massive double porte en chaîne est fermée devant eux… Le guerrier du groupe avance vers cette porte et pousse les deux ventaux. La porte étant massive, le maître jeu demande au joueur du guerrier de tester son action Forcer les portes et les herses. Le joueur obtient seulement un 4, le maître de jeu décide de faire une action créer une situation dans laquelle excelle une classe en déclarant que la porte est fermée à clé, il va être nécessaire de crocheter la serrure. Le voleur commence donc à examiner celle-ci et commence à trifouiller dedans. Cette action correspond à Ficelles du métier, le joueur tente 2D6+DEX pour savoir si son personnage parvient à crocheter la serrure. Il obtient un total de 8, offrant au MJ le choix de deux options parmi suspicion, danger ou coût. Le MJ annonce que la porte est déverrouillée, mais l’outil utilisé est cassé rendant le kit de cambrioleur du voleur inutilisable (coût) ! De plus, la tentative d’ouverture en force échouée précédemment suivie des cliquetis des outils dans la serrure ont alerté les gardes orcs qui étaient de l’autre côté de la porte (suspicion). Ils pourront passer à l’attaque dès l’intrusion des PJ dans la salle suivante.
Et ? Elle est où la différence ?
Simplement sur l’enchaînement des actions. Le PbtA recommande aux maîtres de jeu d’avoir toujours une vision hors champ de la scène, je dirais comme dans tous les jeux non ? Oui, mais trop souvent, on oublie de l’exploiter faute d’avoir le temps sur le coup de s’en servir. Le MJ a souvent beaucoup de choses à gérer lors d’une scène pour penser plus loin que le bout du nez de ses PJ. Dans le premier cas, finalement, il y a peu de chance que les échecs aient des conséquence… vous allez faire quoi ? Faire des jets en écouter à vos orcs ? Décréter qu’ils entendent ? Si oui, pourquoi faire ça ? L’échec en vaut-il la peine ? De plus, le magicien finalement a-t-il le temps de dormir ici ? Typiquement, les joueurs ne réagissent que par l’intermédiaire des compétences de leurs personnages et vont peut-être se retrouver bloqué sur un mauvais jet de dés. Le reste repose sur de l’arbitraire, les conséquences d’un échec vont générer des questionnements pour déterminer la suite de l’histoire. Il m’arrive parfois de me dire que je maîtrise « c’est dommage de ne pas avoir annoncé ça, je n’y ai pas pensé » après avoir repensé à une conséquence appliquée arbitrairement sans m’être posé la bonne question sur le coût parce que ma vision hors champ n’était pas au bon endroit.
Avec la mécanique de narration de Dungeon World, le MJ n’a posé ici qu’une porte, il sait que derrière il y a une salle, sans doute des gardes orcs puisqu’il a prévu dans son front que le donjon de Glargnarbouliac était gardé par des orcs. La porte est verrouillée ou barrée ? A la limite, on va pas en décider maintenant, on va laisser les joueurs opérer. Le guerrier commence, son échec est à l’origine du verrouillage de la porte, cette action du MJ explique cet échec et pas seulement « t’avais pas assez de chance de l’ouvrir ». Pour l’intervention des orcs, c’est pareil : le MJ est guidé pour les mettre en jeu pour réaliser les deux options de la réussite partielle de l’ouverture de la porte par le voleur. Un danger pouvait survenir : un piège se déclenchera à l’ouverture de la porte… Une chose arrive que parce qu’elle a été amenée par une action.
Les ressources sur Internet
- Le portail français des PbtA
- Une liste partiellement à jour des PbtA
- 500 nuances de geeks, l’ex narrativistes éditions, qui supporte depuis le début les PbtA dans la langue de Molière
- Le magazine en ligne La Caravelle de l’éditeur 500 nuances de geeks sur Tipeee
- Le site de Acritarche (B. Wauthoz) auteur de pleins de ressources autour des PbtA et, entre autre, d’une longue campagne pour DW : la Reine des Cendres
- Du bruit derrière le paravent de Gregory Pogorzelski, le traducteur d’Apocalypse World et de la première édition de Dungeon World
- Un retour sur Apocalypse World par Alias
- Dungeon World FR vous propose au format PDF et sous licence Creative Commons (donc, libre et gratuite) les règles de Dungeon World
- 2D6+Cool, un podcast dédié aux jeux narrativistes, dont les jeux motorisés par l’apocalypse.
Illustration : couverture de la seconde édition française de Dungeon World par Nate Marcel