J’ai déjà parlé plusieurs fois de l’initiation au jeu de rôle. Personnellement, je fais la différence entre une partie d’initiation où le public va être « là pour ça » et une partie de découverte où tout l’enjeu va être de faire s’asseoir à une table des gens qui n’auraient jamais cherché à prendre contact avec le jeu de rôle.
Où, quand ?
Je fais jouer la plupart de mes parties d’initiation aux jeux de rôle chez moi avec un nombre limité de nouveaux qui vont participer à l’aventure avec quelques autres joueurs qui connaissent déjà. Les nouveaux joueurs viennent ici pour jouer aux jeux de rôle, ce point vous est acquis.
Lors d’un salon, d’un festival ou de toute autre manifestation où vous participez pour faire découvrir le jeu de rôle, les potentiels joueurs qui pourraient être intéressés ne vous sont pas forcément acquis : votre activité est en concurrence avec toutes les autres ! Autre chose, ne monopolisez pas tout le temps de présence de vos potentiels joueurs, limitez la durée de la partie à une ou deux heures grand maximum. Soyez synthétique sans pour autant dénaturer le jeu de rôle.
Construire une aventure de découverte
Le principe est donc très simple, nous ne cherchons à proposer une découverte des concepts clés du jeu de rôle, à savoir :
- Comment fonctionnent les interactions entre les joueurs
- Comment fonctionne le système de résolution des actions
- Découvrir l’ambiance d’un univers ou d’un thème particulier
Il va falloir se plier à plusieurs contraintes :
- Limitez la durée de la partie à 1h30
- Proposez une histoire simple à appréhender et à situer
- Proposez des personnages dans lesquels les joueurs auront facile à se glisser
- Réduisez les références aux règles
Le plus important est ici et maintenant
Ça peut paraître bête à dire, mais vos potentiels joueurs vont principalement s’intéresser à la question du jeu de rôle pendant cette partie, là, maintenant. Oui, c’est très bête de le rappeler, mais pas inutile, car vous allez sûrement leur donner leur première impression et celle-ci va déterminer un apriori pour la suite.
Une mauvaise expérience va faire naître une mauvaise représentation du loisir, qui sera beaucoup plus difficile par la suite à combattre. Celle-ci ne va pas forcément s’accompagner d’un rejet pour le jeu de rôle, il est possible que ce joueur revienne et s’y intéresse, mais avec une mauvaise représentation de la chose.
Il va donc falloir garder ça en tête pendant toute la partie, cette partie-là est importante pour vos joueurs, soyez là pour eux. Il faut qu’ils quittent la table avec le sourire, et ce, même s’ils ont perdu leur personnage.
Savoir ne pas en faire trop ni trop peu
L’histoire de fond de votre aventure ne doit pas être trop ambitieuse sans devenir classique et simpliste. Trouvez un pitch intéressant et limitez-vous à cette première idée. Pas besoin d’appliquer la technique des pelures d’oignon décrite dans les conseils de gardien des arcanes de L’appel de Cthulhu, un mystère, une intrigue et laissez les joueurs s’y confronter…
Simplifier les règles
En une ou deux heures, vous n’aurez pas le temps de vous lancer dans une séance intense de book-flipping. De même personne ne vous tiendra rigueur d’un bonus de +2 accordé au lieu d’un +3. Prenez des distances avec les règles, simplifiez ou ignorez celles qui ne seront pas utiles. Dans un jeu à compétences, limitez-les à une dizaine de macro-compétences : par exemple, fusionnez toutes les compétences de combats en une seule appelée Combat.
La précision du système n’aura pas d’intérêt pour cette partie, seul le fond du système de résolution le sera : est-ce que mon action réussit ou échoue ? Quelle est la conséquence d’une réussite ou d’un échec ? Le reste, vous pouvez l’oublier.
Création des personnages
La création des personnages doit être simplifiée elle aussi pour ne pas avoir besoin de plus de 10 minutes pour faire un groupe de personnages. Oubliez au maximum les calculs, les exceptions et les éléments qui n’auront pas d’utilité dans la partie. Simplifiez aussi la fiche de personnage !
Est-il utile de laisser un bloc Points de Magie sur la fiche de L’Appel de Cthulhu pour une partie one-shot où les personnages n’auront pas l’occasion de s’en servir ?
Préparez
Avec des débutants complets, vous ne pourrez pas tout faire à l’arrache sur un coin de table, il va falloir un minimum de préparation. Attention, je ne dis pas qu’il faut écrire un livre dont vous êtes le héros que vous lirez à haute voix à vos joueurs. Non ! Mais qu’il va falloir disposer d’un certain nombre d’éléments qui risquent, en leur absence, de diminuer la satisfaction de vos joueurs :
- Des personnages joueurs prétirés avec une histoire, des motivations et un intérêt pour cette aventure
- Des personnages non-joueurs avec un minimum de corps, mais surtout liés aux personnages des joueurs
- Des illustrations, plans, photos … tout ce qui peut permettre de visualiser vite fait un élément, un décor, un lieu… ça ne vous dédouane pas de décrire la scène et le décor, mais elles vont permettre de poser l’ambiance
Pour les vieux, vous devez sans doute vous souvenir des introductions des aventures officielles pour le jeu de rôle Star Wars de West End Game ? Non ? Une aide de jeu était systématiquement proposée : une introduction scriptée à faire lire aux joueurs, vous trouverez ici le script d’introduction de l’aventure Chasse à l’homme sur Tatooine.
Elle forçait une première expérience du roleplay, mais elle apportait aussi beaucoup d’informations utiles pour la suite de l’aventure. Les personnages ne vont donc pas se rencontrer dans une auberge à attendre un mystérieux vieux à capuche qui va leur parler de la Quête des Statuettes de Krenzalor. Non, avec cette technique, les joueurs seront déjà en route et l’introduction scriptée leur permettra de revivre leur rencontre avec leur employeur… mais vous pouvez aussi enchaîner sur l’action. Dans notre exemple, nous nous contenterons d’utiliser des histoires spécifiques pour chaque personnage.
Mise en application : Le manoir Forester
Téléchargez ici : Fiches de personnages prétirés et plans de la maison Forester
Je vous propose ici, tout prêt à l’emploi, un scénario jouable en une ou deux heures grand maximum et proposant un déroulement très simple sur une version très allégée de L’Appel de Cthulhu. Cette aventure est librement adaptée de La Chasse aux Documents qui accompagnait la seconde édition française du jeu (en 1990).
Les règles
Grosse simplification, nous ne garderons que quelques compétences et nous limitons les jets de dés à une réussite sur un résultat inférieur ou égal à la compétence et un échec sur un résultat supérieur. Nous ne nous embêterons pas avec les échecs et réussites critiques.
Pour les combats, pareil, gérez l’initiative en tour de table en commençant par le joueur à votre gauche, puis en continuant de gauche à droite. Chaque joueur peut faire une action offensive, il appliquera les dommages de son arme si la cible ne parvient pas à se défendre. Insistez sur le comptage des munitions. Les chargeurs ne sont pas forcément limités, mais il faudra un tour pour recharger une arme.
L’histoire
Henry Forester est un vieil excentrique qui vit seul à quelques kilomètres de la ville d’Arkham. Anthropologue et occultiste à ses heures, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le domaine qui n’ont jamais réellement percé dans le milieu. Il s’est résolu à mener une existence en marge de ses contemporains, recyclant ses théories dans des nouvelles qu’il publia dans Weird Tales et Amazing Stories. Elles s’inspirent de ses voyages et de ses idées controversées : il cherchait à mettre en évidence des origines inhumaines chez certaines tribus d’Amérique du Sud, vouées à d’étranges cultes et pratiquant le cannibalisme. Les descriptions dans ses nouvelles laissent penser qu’il a assisté plusieurs fois à ces terribles festins.
La vérité
Cette hypothèse s’avère juste. Durant plusieurs années, le professeur Forester a étudié des tribus ayant vécu à proximité de goules. Mais ce n’est qu’en retournant à Arkham qu’il entra en contact avec ces êtres inhumains. Il se mêla à une tribu souterraine non loin de chez lui pour étudier leurs pratiques. Il participa même à certains de leurs festins ce qui le changea, jusqu’à ne plus être capable de retenir ses pulsions bestiales.
La situation
Quelques mois avant le drame, Forester ne sortait plus de chez lui, laissant son majordome, M. Richards s’occuper seul de la maison avec une jeune femme de ménage et cuisinière, Wendy Collins. Ils ne croisent que très rarement M. Forester.
Le quatrième résident, Jimmy Meritt, le chauffeur ne vit pas directement dans le manoir, mais dans une petite maison à quelques mètres du bâtiment principal accolé au garage. N’étant pas sorti depuis tout ce temps Meritt s’est trouvé un passetemps, il chasse le gibier dans la forêt derrière le manoir. Il est à la recherche d’un loup qu’il a aperçu une nuit et qui laisse d’étranges traces au sol… une goule bien entendu.
Les meurtres
Tout a commencé lorsque Wendy disparu, elle fût dévorée en partie par Forester et ses nouveaux amis dans la cave. Son cadavre, moitié dévorée se trouve dans l’un des garde-manger de la cave… l’odeur commence petit à petit à remonter dans la maison.
La victime suivante fut le chauffeur, alors que Forester devait se rendre à Arkham. Pris d’une pulsion bestiale, il se jeta son employé dans la voiture avant le départ. La voiture se trouve encore dans le garage, mais le cadavre de Jimmy n’y est plus… les sièges sont couverts de sang… les traces mènent à la maison du chauffeur, plus précisément à un râtelier d’armes, un fils de chasse est manquant, des balles aussi.
Modérément blessé, le chauffeur prit fuite dans le bois après avoir récupéré un fusil, mais fût attaqué et tué par deux autres goules. Ses restes sont éparpillés dans les hautes herbes derrière la maison. Le fusil de chasse est encore serré entre les doigts… mais au-delà du coude, le reste du corps n’y est plus !
Richards quant à lui, inquiet de ne pas retrouver Wendy fût attaqué par Forester après une vive discussion : soupçonnant son employeur des disparitions, ce dernier le tua avant de cacher son cadavre dans une salle secrète du bureau.
L’évasion
Le jour de l’arrivée des investigateurs, Forester est sur le point de quitter le monde des hommes pour vivre sous terre avec les goules… il souhaite récupérer quelques biens avant d’incendier sa maison. Il ne s’attend pas à l’arrivée des investigateurs. Il est accompagné de deux goules.
Côté joueur
Les joueurs devront interpréter des personnages bien précis… leurs fiches sont disponibles en annexe. Nos cinq investigateurs vont explorer la maison Forster pour découvrir ce qui est arrivé au vieil homme. Sa disparition a été signalée il y a quelques jours par M. Czyenck, un épicier d’Arkham qui livre chaque semaine le manoir. Il est arrivé un matin et n’a pas eu de réponse…
Vous trouverez leurs histoires personnelles à chacun sur les fiches liées à cette aventure. Trois personnages sont indispensables au bon déroulement de l’aventure :
- L’inspecteur de police
- Le notaire
- L’héritier
Choisir son personnage
Laissez vos joueurs un petit peu de temps pour choisir leurs personnages. Une fois le choix réalisé, invitez-les à déterminer les caractéristiques (2D6+6 chacune), calculez les points de vie et la santé mentale. Côté compétence, chaque personnage dispose d’une compétence à 70%, les joueurs peuvent choisir trois autres compétences à 50% et cinq compétences à 30%.
Les compétences ont toutes été regroupées sous des grandes compétences… par exemple, toutes les actions « d’enquête » comme trouver objet caché, suivre une piste… sont réunies sous enquêter. À vous de déterminer les meilleures correspondances par rapport aux compétences officielles de l’Appel de Cthulhu. Vous remarquerez que la feuille a largement été simplifiée, ne laissant apparaitre que les caractéristiques, les points de vie, les points de santé mentale et les compétences.
Les faire entrer dans la partie
L’équipée arrive à la maison de M. Forster vers 16h un jeudi soir d’automne. Ils sont venus avec une petite camionnette Ford de la police et une belle Hispano-Suiza toute neuve. Ils arrivent à la maison sous la pluie battante, les derniers kilomètres ont été très éprouvants… La partie commence ici, les personnages sont dans les voitures en direction de la demeure de Forster.
Une fois arrivé sous la pluie battante, l’aventure commence lorsque les personnages essayent d’ouvrir la porte principale de la demeure.
Le lieu
Les plans proviennent de cette adresse : http://www.housemouse.net/houseplanmonth05.htm
Imaginez un vieux manoir anglais, perdu dans un non loin d’Arkham. Rien ne se trouve à des lieux à la ronde, mais le manoir bénéficie quand même de l’électricité, car il se trouve sur le trajet vers l’antenne radio. Il est constitué de deux bâtiments principaux : le manoir lui-même dans le plus pur style victorien, et un garage accolé à une petite maisonnette.
La maisonnette
Comprenant que deux pièces, la porte est ouverte et des traces de sang sont visibles un peu partout. La pièce de vie comporte une grande table, un poste de radio, un coin cuisine et un grand râtelier pour fusils de chasse : des boîtes de cartouches sont ouvertes, et renversées… des cartouches roulent au sol, mais le fusil n’est plus là. Si vous souhaitez permettre, en dernière défense, à vos personnages joueurs de disposer d’une arme, quelques fusils sont encore là (dommages : 4D6, munitions 2), mais ils sont verrouillés sur le râtelier (la clé ??? elle est simplement sur les restes de Jimmy… quelque part, dans les hautes herbes dehors).
La seconde pièce est une simple chambre.
Le rez-de-chaussée
Un rez-de-chaussée classique, salons, salle à manger, cuisine, remises… les investigateurs y trouveront aussi les appartements, avec entrées séparées, des serviteurs, en l’occurrence occupés par le majordome et la cuisinière. L’électricité fonctionne encore.
L’étage
À l’étage, les investigateurs trouveront les chambres, mais aussi deux pièces accolées remarquables : le bureau et la bibliothèque. Derrière un pan de bibliothèque, une pièce secrète est dissimulée, les investigateurs y trouveront le cadavre, encore assez frais de Richards, lacéré.
La salle secrète renferme un grand nombre d’ouvrages d’occultisme, dont, Le Culte des Goules. Dans le bureau, un tiroir à double fond referme de nombreux albums photographiques qui remontent aux voyages en Amérique du Sud…
La cave
Une odeur de cadavre prend tout de suite à la gorge des personnages. Le cadavre de Wendy se trouve dans un garde-manger dont la porte est verrouillée. L’un des remises de la cave est vide, la porte de bois est ouverte et au fond, un tunnel a été creusé à même la pierre… des traces de sang et des poils canins se trouvent un peu partout ici.
Des caisses avec des livres de valeur et d’autres biens sont entreposées juste à l’entrée du tunnel.
La situation
Les goules reviennent le soir où les investigateurs sont présents. Il pleut, la route est trop dangereuse pour quitter les lieux, ils devront survivre à une nuit en compagnie de ces dernières. Tous les coups sont permis, y compris du côté des goules. Forester a gardé quelques notions humaines, et, même s’il ne peut plus parler, il est encore capable d’arracher les câbles électriques, déplacer un corps…
Les goules joueront avec l’obscurité, guettant les proies isolées et en frappant par surprise et le plus fort possible. Elles n’abandonneront pas facilement, sauf si Forester est tué, auquel cas, elles repartiront dans les sous-sols. Forester cherchera à éliminer tous ceux qui pourraient l’empêcher de récupérer ses affaires ou qui l’auraient identifié. Il finira par déclencher un incendie, attention, la maison est principalement en bois !
Conseils pour maîtriser
Cette aventure, ouvertement survival-horror doit impérativement être jouée avec un maximum de tension du début à la fin. L’ambiance stressante et oppressante d’un film de monstre ou d’un huis clos doit être omniprésente, et vous pouvez compter sur des joueurs débutants pour se mettre vite dans le bain. Insistez, dès le début de la partie, sur le côté horrifique du jeu. Ce jeu partage le même univers que les films d’horreur et à ce titre, les personnages seront les victimes… leur survie ne tiendra qu’à un fil.
Donc, harcelez leurs personnages, ne leur laissez aucun temps de répit. Dès le début de l’aventure, comptez une bonne heure durant laquelle ils seront mis à rude épreuve. Faites-leur perdre leurs points de vie, leurs points de santé mentale…
Gérer la mort d’un personnage
À moins de six joueurs, les autres personnages non-joués peuvent être présents dans la maison et ainsi, vous pourrez faire des victimes dans le rang des joueurs sans aucune retenue : hop, un autre personnage pourra servir au joueur malchanceux.
Poussez les joueurs à la panique
Dès que les personnages commencent à prendre possession des lieux, la nuit de terreur doit commencer. Séparez les personnages des joueurs, laissez-les explorer le manoir chacun de leur côté… Jouez avec les peurs basiques : qu’il y a-t-il derrière la porte ? un étrange bruit se fait entendre, ou d’un coup la lumière flanche…
Conclure
Je vous laisse libre sur la fin de l’aventure… qui interviendra plus sur une question de durée de partie que sur un événement en jeu. Le soleil se lève et les goules disparaissent, laissant les quelques survivants à leur sort ? Ou encore, les quelques survivants vont tout tenter pour retourner à Arkham sous la pluie battante ?
Laissez vos joueurs conclurent à leur guise, mais prévoyez une scène de fin digne d’un film d’épouvante : la voiture se retourne sur un coup de volant et les goules récupèrent les héros sonnés par l’accident… à vous de voir selon la situation.
Crédits photographiques : Cthulhu Jars par Shawn DeWolfe