Connaissant les livres dont vous êtes le héros de Gallimard, j’ai découvert le jeu de rôle durant l’été 1990 en jouant ma première partie de l’Oeil Noir avec deux amis du collège. J’ai gardé un très bon souvenir de ces parties contrairement à beaucoup d’autres jeux de cette époque auxquels j’ai eu l’occasion de jouer un peu plus tard (parmi lesquels Donjons & Dragons). Il faut reconnaître que c’est sans doute ce jeu qui a initié toute une génération de rôlistes français, juste pour une raison : une édition Gallimard du jeu va remplir les étagères des librairies au milieu des années 80 et va même s’offrir des affiches un peu partout depuis les bibliothèques jusqu’à certains centres de loisirs !
Deux éditions françaises
L’Oeil Noir n’est pour une fois pas une création américaine, mais un jeu qui vient d’Allemagne. La traduction française de Das Schwarze Auge sortie en 1984 chez l’éditeur Schmidt International dans un format identique à la version originale. La boîte de base, Initiation au jeu d’aventure contenait tout le matériel nécessaire pour jouer à ses premières aventures :
- un livre de règles suffisamment complet et sans limite de puissance pour les personnages (contrairement à la boîte rouge de D&D qui ne permettait de jouer que jusqu’au niveau 3) ;
- un livre d’aventure, avec une aventure en solo et une aventure à faire jouer suffisamment guidée pour une première expérience de maître de jeu ;
- un écran 3 volets ;
- un bloc de feuilles de personnages, de feuilles pour tracer les plans des donjons visités et de feuilles pour suivre les combats ;
- un dé à vingt faces et trois dés à six faces.
On pourra toutefois regretter le faible nombre de sorts (13 au total, et presque aucun sort offensifs) et le bestiaire limité aux orques, gobelins, trolls… et dragons…
Le jeu sera rapidement suivit de sa première grande extension : les accessoires du maître de jeu, qui contenait tout un tas de pions représentant les héros, les monstres, des murs, des portes, … tout ce qu’il faut pour mettre en place visuellement et très facilement un donjon… l’extension est surtout complétée d’un livret contenant un bestiaire très dense, un recueil de pièges et d’énigmes.
Il faudra attendre deux ans, soit l’année 1986, pour que soit publiée L’extension au jeu d’aventure contenant des règles avancées. Elles apportent de nouvelles classes, un système de compétences et surtout des éléments de backgrounds avec la description du continent de l’Aventurie, un monde médiéval fantastique très classique.
L’édition Gallimard
Pour faire entrer le jeu de rôle dans les librairies où Gallimard y diffuse depuis très longtemps la série Un livre dont vous êtes le héros dans la collection Folio Junior, il fallait trouver un conditionnement plus académique. C’est ainsi qu’en 1985 l’éditeur Gallimard publie de L’Oeil Noir sous forme d’un coffret en plastique ressemblant à un livre qui contiendra les livres de règles au format poche. Les suppléments seront eux aussi édités à ce format et ils contiendront exactement les mêmes accessoires que l’édition Schmidt.
Les aventures seront par la suite aussi bien publiées sous forme de livrets A4 chez Schmidt International et au format livre de poches chez Gallimard. La grande force de cette édition, c’est qu’elle permettra à ce jeu de rôles d’être présent dans toutes les librairies qui distribuent la gamme Folio Junior, l’opération sera même reprise pour d’autres jeux, comme Pendragon ou même Talisman, un jeu de plateau de Games Workshop… Gallimard abandonnera même le format boîte pour le jeu de rôle Les Terres de Légende qui ne sera diffusé qu’au format poche.
Le jeu
Il faut dire qu’en 1984, des jeux de rôle médiévaux fantastiques, ce n’était pas ce qui manquait ! Les grands ténors étaient Donjons & Dragons et Advanced Dungeons & Dragons, joués dans tous les clubs, à toutes les tables… ils eurent de nombreux avatars qui gardèrent des concepts très proches…
L’Oeil Noir est finalement assez loin de la logique de D&D et de ses clones… plutôt que de disperser les caractéristiques dès la création entre 3 et 18 et de les infliger de façon immuable au joueur, les personnages commencent avec des scores entre 8 et 13, qui progresseront avec le temps. Le niveau n’a pas la même importance que dans Donjons & Dragons, où la classe et le niveau déterminent de très nombreux facteurs… ici, le joueur est libre de faire progresser une stat au choix à chaque niveau, énergie vitale, énergie astrale, caractéristiques, valeur de combat… Tous les personnages peuvent suivre la classe aventurier ou une autre classe si leurs caractéristiques sont suffisantes : guerrier, nain, elfe, magicien…
Autre élément intéressant, les combats se basent sur une alternance attaque/parade avec des bonus et malus selon les armes. Les points d’énergie vitale initiaux sont assez importants pour tous les personnages de premier niveau, même pour les magiciens… ces derniers disposent en plus de capacités magiques assez sympathiques, puisque, contrairement à Donjons & Dragons, un magicien connaît tous les sorts du jeu qu’il peut lancer jusqu’à épuisement de ses points astraux, tant que le joueur connait la formule magique de tête (« Balsamon – Guérison ! ») ! Le magicien de premier niveau n’est donc pas un boulet qui va se cacher dès qu’il a lancé son projectile magique quotidien !
En conclusion
Pour moi, L’Oeil Noir a toujours été un très bon jeu d’initiation… simple, rapide, équilibré, il ne crée pas de déséquilibre entre les personnages, permettant à tous les joueurs de participer à l’aventure ! Le monde, bien que classique, peut accueillir toute aventure médiévale fantastique. Il a disparu de la circulation après la sortie de l’extension Maître d’Armes. En Allemagne, Das Schwarze Auge a continué à évolué d’édition en édition pour arrivé en 2014 à une cinquième édition, qui sera même peut-être traduite en français dans quelques temps.
Crédit photo : photographies personnelles