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Indiana Jones et le temple maudit

Nuance dans la réussite et l’échec

Temps de lecture : 9 minutes

La majorité des systèmes de résolution des jeux de rôle fonctionnent en tout ou rien, soit l’action entreprise par le personnage se solde par une réussite ou un échec. Pourtant, en réalité, rien n’est binaire : il existe une nuance dans l’échec et la réussite d’une action… or, trop peu de jeu font la différence entre une action presque réussie et un échec grandiose.

Pourquoi un résultat ne peut être binaire ?

Avant tout, réfléchissons un peu sur la question de l’échec et de la réussite …

Un exemple, vous incarnez un chasseur de trésor au début du 20ème siècle aux prises avec les hommes de mains d’un concurrent … après une course poursuite à travers la jungle, vous débouchez face à un précipice relié par un vieux pont de cordes. De l’autre côté, votre campement et surtout l’avion qui vous emmènera loin de chez vous ! Vous décidez de l’emprunter, mais avec le poids de vos poursuivants, le pont cède… vous êtes très proche du bord… vous pourriez sauter ou vous accrocher aux restes du pont pour parvenir de l’autre côté… vous sautez ! Le MJ vous regarde et vous demande de tester votre compétence « sauter ».

Par exemple, si nous jouons à L’appel de Cthulhu et que le personnage dispose d’une compétence de 50% en sauter, il aura une chance sur deux de survivre à cette scène… genre : hop, je saute … 51 ! Boum, t’es mort.

Oui, mais non en fait, c’était pas grave … on va dire que t’es pas mort ?

Dans la majorité des cas, le MJ va proposer au joueur un moyen de s’en sortir quand même … comme par hasard, il arrive à se rattraper à une corde, ou il est en équilibre instable sur le bord et un nouveau jet va lui permettre de s’en tirer, ou non … et sur le non, encore un jet pour savoir s’il meurt ou pas … à la longue, le défi s’estompe … parce qu’en fait, ça ne sert à rien de faire mourir ce personnage à ce moment, sur un bête jet de dés. J’en ai déjà parlé plusieurs fois (maîtrisez sans dé et la mort dans le jeu de rôle), je n’en reparlerai pas ici car ce n’est pas le sujet.

Après tout, est-ce utile de faire jouer une scène inutile avec plein de jets de dés quand de toute façon, pour le coup, on va ignorer à la fois les règles et les résultats ?

Dans ce cas, je n’en parle même pas, je laisse les PJ sauter, décrire comment ils s’agrippent à l’autre côté, et hop, voilà, c’est plié.

Les règles et rien que les règles

Après pourquoi jouer à un jeu si c’est pour ignorer toutes les règles de celui-ci ? La question à se poser c’est plutôt, est-ce que cette scène est intéressante ? et qu’est-ce qui fait que cette scène est intéressante ? Ce qui fait que cette scène va être intéressante, c’est que le personnage peut perdre la vie selon les décisions que son joueur va prendre ou selon les résultats des jets de dés, des scores de compétences et du risque qui va être pris. Doser la prise de risque, voilà un point d’intérêt pour beaucoup de joueurs (dans la théorie LNS, c’est ce qu’on appelle ludisme).

Or quelles sont les options ?

  • Ne rien faire, s’accrocher au bout du pont, remonter, trouver un autre chemin pour retourner au campement… c’est plutôt facile, mais ça risque d’apporter pas mal de complications au final… et d’ailleurs, les poursuivants qui ne seront pas tombés dans le précipice risquent de réserver un accueil pas très chaleureux au personnage !
  • S’accrocher à l’autre côté du pont, se hisser et courir… assez simple, mais long, et le personnage risque de s’exposer à des tirs des poursuivants, voire, chuter ou tomber s’il est gravement blessé… un risque à prendre ?
  • Sauter, assez loin pour atteindre le bord et courir… une option réservée aux plus grands athlètes, mais entre une chute vertigineuse, se faire capturer par ses ennemis ou tenter le tout pour le tout… quel choix faire ?

Quelle sera la meilleure option ? Tout dépend du jeu… est-il plutôt réaliste ou plutôt pulp, le personnage a-t-il droit à une autre chance en cas d’échec, la réussite est-elle limitée ? Bref, à Cthulhu, je ne tenterais pas, mais à Torg, le dé pouvant exploser et atteindre des scores improbables… on peut toujours tenter !

En gros, si on place une scène devant les joueurs, qu’il y a des règles pour la gérer, autant les appliquer et se conformer aux résultats … maintenant, si la vie du personnage ne tient qu’à un simple jet de dés, il n’y a que trois solutions :

  • Soit le système de jeu employé est totalement nul ;
  • Soit vous n’avez pas envisagé les conséquences d’un échec sur cette scène. Là, c’est vous qui êtes totalement nul (rho, je troll !) ;
  • Soit vous avez mal jugé la situation et les actions possibles du personnage. Là encore, le nul, c’est vous ! (rho, encore plus de troll).

En gros, est-ce que sur un échec à un jet de saut sur un pont de corde l’issue sera nécessairement la chute dans le précipice et la mort ? Techniquement, oui, scénaristiquement, je ne suis pas sûr.

Jusqu’à l’agacement et l’improbable !

Je reviens sur L’appel de Cthulhu encore une fois, parce qu’il est sans doute le système de jeu le plus caricatural sur le sujet. Au passage, je tiens à préciser que je me permets de le critiquer car je maîtrise assez souvent ce jeu pour être pleinement conscient de toutes ses limites, mais aussi de ses bons côtés.

Je n’ai plus un personnage, mais deux qui sont sur ce pont de corde, l’un a 70% en saut et l’autre 40%… les deux sautent et font 39…

  • L’un réussit donc à presque la moitié de ses chances de réussites… ok, c’était une simple formalité ce saut…
  • Son compagnon réussit tout juste finalement ! Arrivent-t-ils ensemble ? Ont-ils eu le même stress pour cette action ?

Et si les deux joueurs font 71, lequel sera le plus dans la mouise ? Aucun des deux, ils tombent et meurent car ils ont échoué leur jet de saut.

Dans la série, on peut rester dans le BRP avec ses passes d’armes interminables (surtout plus minables qu’inter), où même si on touche, l’adversaire réussit sa parade et on recommence… bref, la binarité du résultat est loin d’être une panacée.

Un système de jeu n’est pas une fatalité

Ne vous inquiétez pas, il n’y a toujours pas d’inquisition rôlistique pour vous empêcher un écart aux sacro-saintes règles, rien de vous empêche de les assouplir pour l’occasion… A part certains systèmes où la gestion du degré de réussite va être compliqué à gérer, tous peuvent à peu près le faire d’une façon ou d’une autre.

Le principe est simple, comparez le score obtenu au seuil à atteindre… et selon l’écart, déterminez la réussite… comment ? On verra ça un peu plus bas.

Fumble ! CRITIQUE !

Je ne peux m’empêcher de repenser à de GIF animé partagé ces derniers temps sur les réseaux sociaux.

Alors qu’on est incapable de reconnaître qu’une action peut être presque réussie ou réussie tout juste… une majorité de systèmes de jeu proposent le concept le plus improbable du degré de réussite : l’échec critique et la réussite critique…

En gros, d’un coup, le personnage réussit tout, ou se blesse en ouvrant sa porte d’entrée… combien de fois votre personnage a balancé son épée à 1D6 mètre dans une direction aléatoire ou s’est blessé dans une localisation aléatoire tirée avec 1D20 en cassant la corde de son arc ?

De plus, si on s’attache juste aux règles… dans Donjons & Dragons pendant très longtemps, ces événements particuliers n’intervenaient que pour les combats… uniquement… d’un coup, le gobelin pouvait toucher un guerrier niveau 20 avec une full-plate magique que même un missile SCUD ne pourrait endommager.

Est-ce toujours utile, intéressant et opportun de regarder la qualité de réussite ?

Ça y est, ça râle déjà : oui, ça va prendre un peu plus de temps… encore que… déterminer la qualité de réussite, la marge de réussite, le degré de réussite (et tout un tas de désignations toutes plus diverses…) n’est peut-être pas nécessaire tout le temps, dans certaines situations, on peut encore se contenter d’un résultat binaire

Quelques solutions ?

Annoncer un résultat binaire à un test est aberrant, et en plus, on risque parfois de créer des situations grotesques où on passe plus de temps à contourner les règles ou l’événement pour garder un minimum de crédibilité à l’ensemble de l’histoire.

Pour avoir un résultat plus réaliste, il va être nécessaire de graduer la réussite ou l’échec, c’est-à-dire de définir un degré de réussite ou d’échec et l’interpréter au plus juste par rapport à la situation.

Comment déterminer un degré de réussite ?

Si on exclut tous les systèmes particuliers, deux grandes techniques sont utilisées pour les systèmes de résolution : le roll-over/under et le roll and keep.

Roll-over et roll-under (ex. L’appel de Cthulhu)

Dans les roll-over ou roll-under (les jeux où le système propose de dépasser ou de faire moins qu’un seuil de difficulté), le degré de réussite ou d’échec est mesuré par l’écart avec le seuil de difficulté. Plus l’écart sera important, plus la réussite ou l’échec sera lui aussi important… un « presque réussi » ou « réussi de peu » interviendra quand le jet final sera très proche du seuil de difficulté.

Par exemple, avec le BRP de Chaosium, on peut soit compter un degré de réussite par tranche de 10 point d’écart entre le résultat du dé et le score à obtenir… Si mon personnage devait faire 70 et que je vais 43, je compterais 2 degrés de réussite… à l’inverse, si je fais 83, je compterais 1 degré d’échec.

Roll and keep (ex. Vampire la Mascarade)

Dans les roll and keep (les jeux où le système propose de lancer plusieurs dés et de ne garder que certains correspondant individuellement à une réussite), c’est le nombre de réussites qui détermine le degré de réussite… plus il y en a, mieux c’est… par contre, c’est très difficile dans certains cas de déterminer un degré d’échec, la majorité de ces systèmes ne distinguant que les réussites… les autres dés sont des échecs ou des « je sais pas trop » ?

Lier la performance au degré de réussite

La première solution pour faire refléter le degré de réussite d’une action est d’amplifier l’effet de l’échec ou de la réussite. Beaucoup de jeux utilisent ce principe : que ce soit Rolemaster avec ses longues tables de dommages et ses tables d’interprétation des réussites ou même Simulacres dans lequel la table des dommages croise la réussite de l’action avec la catégorie d’arme.

Quel genre de performance peut être améliorée avec la réussite ?

  • Réduire/augmenter le temps pour réaliser l’action : plus l’action est réussie, moins elle aura pris de temps à être réalisée… l’inverse est vrai aussi ;
  • Accorder un bonus/malus sur l’action suivante : une course poursuite va demander plusieurs jets à la suite de courses par exemple, la réussite de l’un va permettre d’apporter un bonus au suivant.
  • Accorder une amplification/diminution de l’effet conséquent à l’action : vous faites plus de dommages, vous allez plus vite, vous sautez plus loin…

Revoir la difficulté après le résultat

Une solution peut consister à revoir la difficulté après le résultat pour estimer la réussite… si finalement, le jet est un échec avec un seuil « difficile », mais qu’il aurait été une réussite avec un seuil « facile », pourquoi le personnage n’aurait pas réussi en partie son action ?

A l’inverse, un test avec une difficulté facile peut avoir un effet encore plus important si finalement il aurait été réussi avec une difficulté plus importante.

Par exemple, un personnage attaque à distance un zombie qui le charge… le joueur doit réussir une attaque avec un bonus de +20% au jet résultant de l’arme utilisée, de la portée… le personnage a une compétence de 50% en arme à feu et le joueur fait 28… il réussit son attaque, normal, il devait faire moins de 70% et touche le zombie, qui continue dans sa lancée.

Mais, il aurait réussi une attaque localisée avec un modificateur de -30, le MJ pourrait décréter que finalement, le tir atteint la tête du zombie puisqu’il réussit une attaque localisée et non plus une attaque à bout portant. Dans ce cas, le zombie s’écroule.

Apporter un nouvel élément à une simple réussite

Un autre concept sympathique consiste à proposer un élément complémentaire à la réussite en fonction du résultat… cet élément ne sera pas technique comme dans la première solution, mais narratif. Le joueur pourra imposer un détail supplémentaire à sa réussite ou son échec…

Dans ce cas, il est possible de déterminer six niveaux de réussites et d’échecs que je classe ici du meilleur au pire : « oui et … », « oui », « oui, mais … », « non, mais … », « non », « non et … » Les « et » et « mais » vont permettre d’introduire une complication ou un avantage sur la situation.

  • Une complication est un élément à apporter à la situation en défaveur du personnage qui vient d’agir, elle est toujours annoncée par un joueur « opposé » dans l’action au joueur qui incarne ce personnage ;
  • Un avantage est un élément à apporter à la situation en faveur du personnage qui vient d’agir, il est annoncé par le joueur qui incarne ce personnage.

A vous de déterminer une échelle pour ces six niveaux… la plage la plus large devrait se situer sur « oui » et « non » qui représente une réussite ou un échec de l’action entreprise. La même amplitude devrait être partagée entre le « oui, mais… » et le « non, mais… »

Selon le degré de réussite, le personnage subira ou non un avantage ou une complication :

  • Sur un « oui, et… » le personnage réussit et obtient un avantage ;
  • Sur un « oui », le personnage réussit ;
  • Sur un « oui, mais… » le personnage réussit et obtient une complication ;
  • Sur un « non, mais… » le personnage échoue et obtient un avantage ;
  • Sur un « non », le personnage échoue ;
  • Sur un « non, et… » le personnage échoue et obtient une complication.

Par exemple, si je devais appliquer ce concept sur L’appel de Cthulhu, je déterminerais :

Score à obtenir - score obtenuDegré de réussite
31 et plusOui, et...
11 à 30Oui
0 à 10Oui, mais...
-1 à -10Non, mais...
-11 à -30Non
-31 et moinsNon, et...

Dans l’exemple précédent, si je dois faire un score de 55 et que le joueur obtient 49 au dés… il aura un « oui, mais… » l’action est peut-être réussie, mais pas totalement !

Beaucoup de jeux utilisent déjà cette façon de résoudre une situation, que ce soit Star Wars de FFG/Edge ou encore Doctor Who, adventure in time and space de Cubicle 7, le premier utilisant des dés pour déterminer les complications/avantages (liés à la complexité de la situation) et d’autres pour la réussite/échec (liés aux compétences et savoirs du personnage).


Crédits photographique : Harrison Ford dans Indiana Jones et le temple maudit de Steven Spielberg et George Lucas (c) Lucasfilm 1984

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