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Scénarisez vos combats

Temps de lecture : 7 minutes

Les combats restent un élément prédominant des scènes d’actions dans les jeux de rôle. Pourtant, il est fréquent d’entendre des meneurs de jeux ou des joueurs en parler avec beaucoup de dédain en lui préférant de loin l’art noble roleplay, Normal, ces scènes d’actions sont en général très codifiés dans la plupart des jeux et ils apportent le moment le plus technique de toute la partie.

Et c’est tout le problème ! Pendant un combat, le rôliste le plus aguerri se transforme en apprenti stratège alors qu’il serait intéressant d’aller au-delà de la technique pour explorer tout le reste. Car oui, un combat ce n’est pas seulement une succession de jets de dés pour savoir si tel personnage touche son adversaire ou si tel autre pare le coup, il peut être bien plus, voire un réel moment de descriptions d’actions, de scènes, de décors, mais aussi interprétation des personnages.

Les combats à la mode J-RPG

Lorsqu’il est question de numériser un jeu de rôle pour le transformer en jeu vidéo dans les années 80 il n’y avait pas beaucoup de solutions. Utiliser la liberté offerte dans le jeu de rôle était impossible, donc, beaucoup de jeu ont exploité une solution de choix d’actions en tours à tours.

J’ai pas mal joué aux vieux Eyes of the Beholder, Might and Magic, Ultima et consort, et lorsque le combat tournait au vinaigre, il était simple d’exploiter la zone pour trouver un lieu plus favorable au joueur pour le combat. Ainsi, il n’était pas rare que dans Ultima je fasse tourner l’Avatar plusieurs fois autour d’une table pour que l’orc qui le menaçait se retrouve coincé à la merci de mon arme.

J’ai été très déçu le jour où j’ai joué à mon premier J-RPG, Final Fantasty VII. Il y avait de quoi, au-delà de l’histoire, des possibilités d’évolution des personnages, les combats étaient horriblement statiques, ennuyeux, se résumant essentiellement à la mise en place de la meilleure succession d’attaques, de talents et d’invocations face à la menace rencontrée.

A quoi ressemble un combat J-RPG… même en 4K avec la console la plus performante du moment, le gameplay ne dépasse pas cette logique…

Extrait de Final Fantasy IV

Dans le J-RPG, que les personnages s’affrontent sur un bateau, sur un nuage, dans la soute d’un appareil spatial, le combat est rigoureusement le même… ennuyeux.

En caricaturant un peu, beaucoup de maîtres de jeu gèrent les combats à la J-RPG : chacun leur tour, les joueurs annoncent l’action entreprise, lancent les dés et le maître de jeu détermine le résultat, puis au suivant… En ajoutant deux trois petites descriptions, ça passerait même pour une génialissime scène d’action…

Ce que les combats doivent être…

La caricature J-RPG la plus poussée, on peut imaginer deux groupes face à face. Chacun attend la fin des actions du précédent pour avoir le droit d’agir. Finalement, lorsqu’on gère un combat basique, c’est tout à fait ça.

A quoi ressemble un combat actif ? Les films de capes et d’épée sont les plus représentatifs, mais aussi de nombreux films d’action moderne… The Killer de John Woo en est le parfait exemple…

Que remarque-t-on ?

  • Les personnages sont mobiles lors de l’affrontement
  • Les personnages utilisent les éléments du décor pour prendre l’avantage sur l’adversaire
  • Les ennemis arrivent de partout
  • Les personnages prennent des risques

Et sans armes à feu, ça donne quoi ? Voici une scène du mythique Once Upon a Time in China avec Jet Li dans le rôle de Wong Fei Hung…

Le postulat est simple, les deux adversaires sont aussi forts l’un que l’autre, leur combat pourrait durer des siècles, seul un avantage par leur stratégie fera la différence, un simple échange de baffes ne suffit pas à les départager.

Quelques règles indispensables :

  • Le combat ne se déroule pas sur un ring de 1000 m² totalement dégagé
  • Les combattants en sont pas immobiles
  • Les groupes ne forment pas deux lignes à l’opposé du champ de bataille

Bref, c’est tout, mais pas du J-RPG !

Aller, on termine vers bad-ass avec un combat réaliste et froid tiré de La mort dans la peau, où l’on y rappelle qu’à défaut d’un calibre, une rallonge électrique peut être une arme très dangereuse.

Mettre en scène les combats

Aujourd’hui, c’est travaux pratiques de chorégraphie… première étape, supprimer les termes « j’attaque », « je pare », … mais vous allez vous efforcer à décrire l’action.

Donc, au lieu de :

Meneur de jeu – L’orc t’attaque, il fait 18 et te touche pour 12 points de dommages
Joueur – Arghh, ça va, il me reste 18 points de vie, je le frappe et je fais 11 points de dommages

Nous devrions avoir

Meneur de jeu – L’orc brandit sa hache rouillée et t’assène un coup à la jambe pour 12 points de dommages
Joueur – Arghhh, ça va encore, il m’a bien blessé, mais je ne suis pas mort, loin de là… je riposte en levant mon épée et en l’abattant sur son crâne, il subit 11 points de dommages

Quelle est la différence ? dans le premier cas, tout est essentiellement technique, a-t-on besoin d’annoncer les résultats des jets d’attaques ? les points de dommages oui, c’est essentiel… si le maître de jeu fait l’effort de décrire son action, les joueurs embrayeront sans doute assez facilement le pas. Après il faudra sans doute trouver un équilibre… décrire simplement les actions est une première étape essentielle pour la suite.

Première règle : décrire !

De l’audace

Bon, la première étape est franchie, on commence à ne plus trop causer technique, à annoncer des scores aux dés qui sont inutiles, à décrire le résultat de l’action plutôt que d’annoncer simplement la réussite ou l’échec de celle-ci… on est donc en bonne voie.

L’étape suivante va consister à oublier un peu le traditionnel enchaînement « attaque/parade » des combats traditionnels… J’ai maîtrisé plusieurs jeux qui essaient de pousser les joueurs à faire autre chose que bêtement taper aveuglément les cibles adversaires. Dans Torg, chaque round dispose d’un certain nombre d’actions approuvées qui apporteront une récompense si elles sont réussies : ruses, tests, … dans 7ème mer, les joueurs devront se la jouer Jean Marais pendant le combat : ils vont jouter avec la rapière et les verbes, bondir, attraper un lustre, descendre le long d’une tenture à l’aide de leur main-gauche pour assommer les hommes de main de leur ennemi lors de leur chute….

Bref, dans trop de jeu, rien n’oblige le joueur à faire autre chose qu’utiliser une aptitude de combat en combat et c’est bien dommage.

Dans ce cas, il va falloir ruser… un joueur reste à distance et arrose avec un pistolet ou un arc, pas de problème, la mêlée est dense, imposez un malus important pour toucher la cible désignée. Un joueur reste immobile devant son adversaire en faisant toujours le même moulinet avec son arme, son adversaire dispose d’un bonus pour toucher et se défendre, si ce n’est la possibilité de faire une riposte sur une attaque parée. Si les joueurs deviennent trop statiques, forcez la mobilité, si les joueurs répètent trop les mêmes actions, forcez la diversité.

A l’opposée, plus un joueur va entrer dans une chorégraphie complexe, aidez-le, apportez un bonus à son action, abaissez la difficulté… face à une telle audace, son ennemi ne s’y attends pas, il est surpris !

Seconde règle : bouger, diversifier

Interagir avec les éléments du décor

Ça y est, on arrive au but… les joueurs vous offre un balai de plomb digne d’un film de John Woo, vannent leurs adversaires en se mettant à couvert, et utilisent tout leur arsenal lors d’un combat de quelques rounds. On y arrive, je vous le dis… mais là, le combat se déroule encore sur un fond vert.

Effectivement, là, sur le coup, c’est moins bien !

Il va falloir maintenant commencer à exploiter le décor, c’est la cerise sur le gâteau ! Avant de lancer l’action, je vous conseille de faire un break. Oui, l’action arrive, ce n’est pas pour autant qu’il faut se précipiter et faire n’importe quoi. Commencez par décrire le lieu : les dimensions, le lieu où sont les personnages… éventuellement les lieux proches. Ce n’est pas utile d’aller dans le détail : combien d’extincteurs sont installés au rez-de-chaussée du hangar dans lequel se déroule la baston, à combien de mètre de haut se trouve la mezzanine… les éléments de décors évidents et logiques peuvent être ajoutés au besoin, que ce soit par le maître de jeu ou les joueurs.

Exemple, dans un hangar, un attroupement d’ennemis bloque le passage des personnages vers la sortie et les personnages sont à couvert derrière des véhicules… pour passer, l’un des joueurs décide de tirer sur les extincteurs pour créer une diversion… est-ce qu’il est probable qu’il y ait un extincteur ? est-ce qu’il est possible qu’un ou plusieurs extincteurs soient à portée du groupe d’ennemis ?

A vous de décider si un élément vaut ou non la peine d’être là, s’il est logique qu’il soit là…

De même, pensez à une bagarre ou un combat dans une taverne en plein moyen-âge… le lieu est bondé, il est difficile de sortir son épée à cause des bousculades, par contre, monter sur une chaise ou une table procure un avantage énorme. Le magicien pourrait fuir sous une table pour être à l’abri le temps de préparer un sort, le voleur profiterait de la cohue pour se cacher et attaquer par surprise… et pourquoi pas, s’accrocher et se balancer au lustre pour atteindre la porte de sortie ? ça ne sera peut-être pas utile de massacrer tous les clients pour faire prendre fin à cette scène de combat !

Troisième règle : le décor est utilisable, démontable, destructible, …

Voici un petit exemple de combat dans le jeu vidéo Dead or Alive 5 où il est possible de faire traverser le décor à son adversaire…

Pour finir, je montre l’exemple

Là, c’est le moment le plus dur de tous… une fois lancé, il faut maintenir le cap. En tant que maître de jeu, il ne faut plus lâcher et il faut assurer pour toutes les attaques de ses PNJ… vous n’allez quand même pas demander un effort à vos joueurs sans vous y mettre vous aussi ?

Quatrième règle : je m’impose ces mêmes règles à tous mes PNJ pour tous les combats !

L’art de préparer ses combats

Ce qui devient finalement évident c’est qu’un combat demande un peu de préparation… il faut évidemment disposer de quelques plans, voire de schémas de lieux où peuvent se dérouler les combats de l’aventure jouée… Recherchez le terme battlemap sur Internet, vous trouverez des centaines de plans tout prêts et même au format des figurines.

Si vous jouez un à jeu un peu plus tactique, n’hésitez pas à représenter la scène à l’aide de figurines : pas d’ambiguïté sur la position des personnages, sur les lignes de mire, sur ce qu’il peut voir, les distances… un plan, même sommaire permet aux joueurs de mieux se représenter la scène et ainsi interagir avec. Sur un jeu moins tactique, oubliez, vous perdrez sans doute du temps à tenter de tout formaliser et vous perdrez en spontanéité sur les propositions d’actions.

Une dernière chose : regardez des films d’actions. Le cinéma d’action hollywoodiens, les films de Honk Kong, sont des sources inépuisables de scène de combats d’anthologie que vous pourrez facilement reproduire dans une partie.


Photographie : extraite du film Fight Club de David Fincher sorti en 1999 avec Edward Norton et Brad Pitt © Regency

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