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And so it begin

Maîtriser sans dé

Temps de lecture : 8 minutes

Lorsqu’on m’a parlé pour la première fois du jeu de rôles Ambre, j’ai eu l’impression que la fin du monde était proche. Ancré dans D&D ou Warhammer, l’idée de jouer sans dé m’inquiétait beaucoup, était-ce finalement encore un jeu ? A cette époque, je commençais aussi à m’intéresser aux wargames (un très courte excursion quand même) et finalement, beaucoup de moteurs de jeu fonctionnent sans aucun hasard ou très peu. Finalement, la première partie d’Ambre a été une très bonne surprise : même sans hasard, tous les personnages n’étaient pas identiques, et surtout, la réussite d’une action ne dépendait que de la qualité du roleplay, de l’astuce, de l’audace et d’une notion toute simple : est-ce possible que ça réussisse ou pas ? Sans pour autant demander à vos joueurs d’oublier leurs dés, nous allons voir comment vous pouvez maîtriser sans dé.

Pourquoi ne pas maîtriser sans dé ?

En tant que maître de jeu, je passe beaucoup de temps à jeter des dés derrière mon écran… et parfois, j’oublie de les regarder avant d’annoncer le résultat d’une action. Est-ce important qu’une bagarre de taverne puisse enlever un nombre de points de vie aux personnages résultant d’une parfaite mise en application des règles de combats… ou n’est-il pas possible de laisser les joueurs bourriner leurs ennemis à coup de roleplay et de leur mettre quelques dommages selon les risques qu’ils y ont pris… parce qu’après tout, dans votre aventure, cette bagarre de taverne n’a aucun intérêt, mais c’est surtout le fait qu’elle se passe qui est important puisque pendant ce temps Zangdar le traitre en profite pour prendre la fuite à la barbe de vos PJ… le seul intérêt scénaristique, c’est que Zangdar à la vue des personnages a déclenché une bagarre de taverne et qu’il profite de la cohue pour se sauver, pas de savoir si les PJ vont prendre des gnons ou pas.

Dans l’idée, j’aime pas trop le fait de ne pas jeter de dés… ça fait gravement élitiste, on s’expose à des discussions interminable car toutes les décisions deviennent arbitraires… il faut que les joueurs continuent de faire rouler les dés, mais pour le MJ qui triche sur 90% de ses jets… genre pour éviter le coup critique que prend Rakyr le paladin quand un vieux paysan lui explose un tabouret à la figure. Ce critique pourrait ne pas que l’assommer mais le tuer net. A l’inverse, c’est toujours frustrant quand on essaie de mettre un peu en place une ambiance à la Die Hard de devoir tricher sur tous ses jets de dés pour que les PJ quittent une scène avec quelques gnons juste parce qu’on a pas eu de bol.

Pour moi, voici quelques raisons qui me pousseraient à dire que le MJ ne devrait pas lancer de dés :

  • Il triche habituellement lorsqu’il a besoin que la scène ne vire pas au désastre ;
  • Il triche systématiquement lorsqu’il constate que ses dés ne sont plus du tout équiprobables ;
  • Il garde un même résultat pour plusieurs PNJ identiques parce qu’il n’a pas envie de passer 30 minutes à faire les tests de perception pour les 120 gardes du campement ;
  • Il doit, dans le cas des jeux qui disposent d’une table de résolution, comparer, une caractéristique, une compétence, une difficulté, son jet de dés dans une table pour déterminer si un PNJ réussit ou non.

Bref, cette technique permet d’avoir un jeu plus fluide, plus adapté à la scène que vous décidez de mettre en place à cet instant, et surtout, sur lequel vous gardez le contrôle.

Un petit exemple d’aberration ? Dans les jeux utilisant le Basic Roleplaying Game (Cthulhu, Stormbringer…) les combats se basent sur deux jets en opposition : un jet pour l’attaquant et un jet pour le défenseur. Si les deux échouent, il ne se passe rien… mais il y aura eu deux jets de dés pour qu’il ne se passe rien ! Un seul pourrait être suffisant, celui du joueur, qui soit attaque son ennemis, soit se défend contre un coup au but.

Je suis sûr de gagner !

Bon, ok, c’est ce que tu penses ? Donc, tu arrêtes tout de suite de lire cet article et tu retournes jouer à HeroQuest ! Non, le maître de jeu n’est pas là pour jouer du PNJ pour mettre une poutre à ses joueurs, mais, pour arbitrer et mettre en scène l’aventure dans laquelle les personnages des joueurs sont les personnages principaux. Donc, à partir de là, il faut que les réussites ou les échecs soient au service de l’aventure, de l’histoire, de la narration et non pas d’un seul et unique camp, c’est-à-dire des PNJ ou des PJ. Il ne faut pas pour autant que tous les monstres échouent leurs attaques lors d’une rencontre : il faut doser les échecs et les réussites des personnages non-joueurs.

Les choses à bannir du jeu

Si j’ai plus à lancer de dés, je bannis tout de suite :

  • Les rencontres aléatoires… je m’étends pas sur le sujet…
  • Les réponses aléatoires des PNJ… limite aussi bien scénarisés que les réponses de Baldur’s Gate, les tables de renseignements que les personnages peuvent glaner n’ont aucun intérêt. En gros, si le MJ n’a pas de « chance », les personnages n’apprendront jamais la rumeur importante sur le village, donc, encore une table inutile sur laquelle le MJ ne fait que tricher.
  • Les trésors aléatoires… pfff, non, mais bon, normal… même en claquant une loutre ninja on a une chance sur mille de trouver une épée vorpale.
  • Les événements aléatoires … surtout que ces tables commencent toujours par 1-50 – rien… 50% des cas, il ne se passe rien, 40% des cas, il se passe un truc, mais pas intéressant et auquel les joueurs ne prendront aucune attention, 10% des cas, il se passe un truc incohérent avec la scène… oui, dans toutes les tavernes, on a une chance sur mille se faire attaquer par des taupes des neiges.

Déjà, une rencontre ne devrait pas être aléatoire, d’une part parce que ça permet n’importe quoi, n’importe quand et d’une façon totalement incohérente. Pourquoi dans la Vieille Forêt Hantée les morts vivants attaquent les personnages selon leurs niveaux ? Non, mais c’est débile… genre, vas-y le zombie, ils sont niveau 1 tu te feras poutrer… et quand c’est des niveaux 20 j’enverrai les liches…

Bref, passons, une rencontre se prévoit, se décide, se prépare jusqu’aux informations et trésors qui pourront y être attachés. Donc, si j’ai pensé un minimum mon aventure, et sans pour autant avoir scripté la moindre information, je devrais savoir que dans la Vieille Forêt Hantée il y a le fantôme de Lord Zangdar qui attaque tous les personnages passant à proximité de son tombeau, son tombeau contient les trésors avec lesquels il s’est fait enterrer : son épée magique, son armure et un coffret d’or. Et surtout, il pourra donner des informations aux personnages sur son histoire… Alors que la même rencontre, en utilisant des tables aléatoires, on peut se retrouver avec une attaque de taupes des neiges ninja qui révéleront aux personnages que Gus le fermier a perdu ses poulets et dans leur tanière se trouve un anneau de détection de crottes de chèvre avec  4 charges, 12 pièces de cuivre, et 8 pièces d’électrum…

Bref, on est d’accord, les tables aléatoires de rencontres, d’événements, d’indices ou de trésors, ça sert à rien… autant les bannir et décider.

Les actions des PNJ

Le résultat des actions des PNJ ne doit pas être déterminé arbitrairement. Un dé étant en théorie équiprobable (pour les nuls en maths, ça veut dire que chaque résultat a autant de chance de tomber qu’un autre), un personnage qui dispose d’un score de 60% dans une compétence devrait en théorie réussir 6 actions sur 10. Dans la pratique, je ne sais pas si c’est pareil pour vous, j’ai toujours une malchance incroyable et même mes PNJ les plus costauds arrivent à défier les lois de la probabilité. Donc, je triche, alors pourquoi je ne déciderais pas de maîtriser sans dé ?

S’adapter au système d’origine

Selon le système de jeu, les possibilités qu’une action réussisse ou échoue sont gérées différemment :

  • Les jeux à scores fixes : le niveau de compétences du personnage est indiqué, un jet de dés est comparé à ce score avec un bonus ou malus. C’est le cas du Basic Roleplay Game où toutes les compétences sont représentées par un pourcentage modifié par un bonus/malus, la réussite est déterminée par le jet de 1D100 qui devra être inférieur ou égal au score de la compétence. D’autres moteurs jeux sur le même principe : D20 System, Rolemaster, … on pourrait aussi y mettre tous les jeux avec des tables de résolution : In Nomine Satanis/Magna Veritas, Cobra
  • Les jeux à réussite variable : le résultat d’un test de compétence dépend du niveau de compétence du personnage mais on détermine aussi une qualité de réussite qui est finalement l’élément essentiel qui va déterminer la réussite ou non. Il y a double enjeu : réussir l’action, mais aussi très bien la réussir. C’est le cas du système de jeu du Monde des Ténèbres, où on lance un seau de dés dont le nombre dépend de la caractéristique et de la compétence et chaque dé doit être supérieur ou égal à une difficulté donnée… le nombre de réussite devra lui aussi être supérieur à un seuil déterminé.

Il faut garder plusieurs éléments à l’esprit.

  • les réussites et échecs devront s’alterner comme bon vous semble, mais en respectant un quota de réussite/échec proche de ce que devrait réussir ou échouer le personnage avec des dés
  • une action très difficile échouera systématiquement, sauf si vous en décidez autrement et que c’est important pour la scène, l’intrigue, l’aventure…. et inversement pour une action très facile

Un exemple d’adaptation : L’Appel de Cthulhu

Un cas très simple pour expliquer la démarche : l’Appel de Cthulhu… Dans l’Appel de Cthulhu, le maître de jeux passe la moitié de son temps à lancer les dés au lieu de gérer l’action. Rien de plus pénible que de baisser les yeux sur les dés alors qu’on est en pleine description d’une scène. Cthulhu se base sur un système à pourcentage, je vais donc déterminer combien de fois sur dix une action peut réussir, bon, ça va pas loin, je divise juste ma compétence par 10. Pour cela, il faudrait que le combat dure 10 tours pour que je revienne sur un principe équiprobable.

Sauf que dans Cthulhu, un combat de 10 tours, j’ai jamais vu ça. On va gérer d’une façon encore plus simple, le « une fois sur … ». Je détermine combien de fois le personnage peut réussir avec la fraction la plus simple… Par exemple, mon personnage a un score de 50%, il va donc réussir « une fois sur deux ». Si il a un score de 75%, il va réussir « trois fois sur quatre ». Je ne gère pas le résultat le plus commun, c’est à dire, la réussite si le personnage réussi « trois fois sur quatre » ou l’échec si le personnage réussi « une fois sur quatre », mais l’événement occasionnel, il faut juste que je le fasse intervenir de façon régulière et équiprobable.

Par exemple, les personnages sont aux prises avec des cultistes non armés, qui ont une chance de cinq de réussir leur action… De temps en temps, un personnage prendra un coup, ce qui arrivera environ tous les 5 tours.

Si je veux gérer une réussite critique, je devrais placer un échec critique a un autre moment, ou sinon, sacrifier plusieurs possibilités de réussites ou d’échec d’un coup : pour ma part, je compte 2 réussites possibles pour faire une réussite spéciale (1/5ème de la compétence) et 4 réussites possibles pour une réussite critique (1/20ème de la compétence)… ce qui fait en plus qu’un personnage qui ne peut réussir son action que une fois sur dix… ne fera jamais de réussite critique.

Les dommages et les autres jets de dés

Rien de plus simple, les résultats correspondent toujours à la moyenne. Ainsi un flingue faisant 1D10+2 points de dommages fera toujours 7 points de dommages. A appliquer pour la santé mentale, les pertes de points de vies, … et tout un tas d’autres choses encore.

Pour aller plus loin

Devenu très difficile à trouver aujourd’hui (surtout à un tarif normal et raisonnable), je vous conseille tout de même de prendre un peu de temps pour vous pencher sur le système du jeu de rôle Ambre, qui va un peu plus loin que cet article puisqu’il supprime tout appel au hasard dans la partie, laissant la décision de réussite au maître de jeu selon la description de l’action faite par le joueur. Si vous décidez de maîtriser sans dé, vous reprendrez le contrôle de la narration de votre histoire, les événements auront une issue plus proche d’une issue logique et provoquée par vous et vos joueurs, loin d’une scène avec un final improbable à cause d’un mauvais jet de dés. Il n’est pas non plus nécessaire d’oublier tous les jets de dés, mais ces conseils peuvent vous permettre de prendre la partie plus fluide en oubliant les jets les moins intéressants de la partie.


Crédits photographiques : And so it begin, extrait de la galerie Flickr de Wil Wheaton (sous licence CC by-nc-sa)

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