Jusque là, l’idée et la présentation générale des religions dans les jeux de rôle nourrit peu l’esprit sur la nature même des croyances et de la foi. À bien des égards, un univers de jeu développant un tant soi peu ces concepts devrait se trouver enrichi de bien des manières. Voyons dans la suite du sujet initié dans le premier article ce qu’on est en droit d’inclure et donc de restituer d’un univers où une quelconque forme de religion, de croyance et de foi est présente.
Religion et monde de jeu
Ce qui suit a pour but de mettre en relief l’impact concret de la religion sur un background, en tant que pierre angulaire du monde imaginaire que vous voulez mettre en place.
Religion et personnes
A l’échelle d’une personne, la pratique d’une religion varie d’une question de foi à une question de tradition et/ou d’éducation. Toutefois, l’impact émotionnel et l’implication personnelle n’est pas la même selon les cas.
Le fanatique
Le plus dangereux des croyants est celui qui croit aveuglement avec un zèle outrancier. Autrement dit, sa conduite est littéralement dictée par le dogme, l’irrespect des usages l’ulcère et il n’y a aucune limite à ce qu’il peut faire pour accomplir ce qu’il croit être son destin. Aucun doute ne peut l’étreindre. Pire, toute tentative de le détourner de sa foi est une source de tentation hérétique qu’il lui faut faire taire. Pour le fanatique, le respect du culte est une loi universelle et quiconque la transgresse est coupable devant son dogme et doit être châtié avec la plus extrême sévérité.
Le comportement du fanatique religieux peut grandement varier d’un culte à l’autre, mais il est généralement totalement dévoué à la cause défendue par sa communauté (même s’il n’est pas soutenu par elle, mais dans ce cas, il peut vouloir y mettre bon ordre, considérant que ceux qui ne l’assistent pas sont aussi des hérétiques). Un fanatique isolé n’est guère moins dangereux si ses croyances le pousse à des actes répréhensibles aux yeux des sociétés qu’il côtoie, car, assurément, aucune loi autre que celle de son dogme n’a de prise sur sa conscience.
Le pieux
Cet individu « a la foi ». Il ne remettra pas sa croyance en question quels que soient les arguments ou les preuves (aussi irréfutables soient-elles) qu’on lui présente. Sa ferveur peut être plus ou moins intense et induire un comportement plus ou moins extrémiste mais toujours dans les limites des lois établies par la société et avec la conscience que tous ne partagent pas son point de vue. Comme tout être vivant mortel, ses faiblesses morales peuvent le conduire à trahir les préceptes de sa foi, mais il en ressentira un réel remord et parfois une volonté de faire acte de contrition pour racheter sa faute. Le pieux fait tout pour préserver sa croyances et, si celle-ci lui impose (ou s’il croit que c’est ce qu’il convient de faire), pourra vaincre la plupart de ses appréhensions et inhibitions afin d’être prêt à sacrifier sa vie pour sa cause. Le dogme d’un pieux est immuable, si bien que tout ce qui s’en écarte est forcément hérétique. Le culte prévoit parfois des actions particulière envers les hérétiques et les pieux savent que c’est à eux de les mener mais ils demeurent bridés par le cadre social.
Ce que les agnostiques ou les athées auront du mal à comprendre est qu’il est pratiquement impossible de faire entendre une autre raison que leur dogme aux pieux les plus convaincus. Une telle foi ne conduit pas nécessairement à des comportements extrêmes, tout dépend du dogme auquel il est attaché. Généralement, la pratique religieuse elle-même induit une façon de réagir face à une menace pour l’intégrité spirituelle de la communauté de croyants. D’ailleurs, toute réinterprétation du dogme au sein même de la communauté peut conduire à de violents schismes.
Le pratiquant
Il peut exister des tas de raison pour lesquelles un individu s’attache à la pratique d’une religion. La recherche d’une certaine sérénité spirituelle en est une. La recherche d’une foi véritable en est une autre. Il peut aussi s’agir de rassurer socialement ses voisins ou soi-même, faire partie de la norme, rester discret. Le contexte est le premier responsable de cet état de fait. Du reste, la pratique d’une religion peut à ce point s’inscrire dans le quotidien que l’individu n’a parfois pas la sensation de s’y consacrer. Le pratiquant n’a pas nécessairement la foi, mais il demeure généralement conscient du sens des actes et des pratiques qui s’inscrivent dans son quotidien.
Le pratiquant ne défend pas la croyance. Son attachement au culte est purement formel et n’a, dans le fond, aucune raison de louer l’intérêt de sa pratique auprès d’un tiers. D’une manière générale, le pratiquant n’est que le produit de son éducation et des traditions qui ont participées à son émancipation intellectuelle. Il est donc limité dans sa capacité à juger du bien fondé de ses pratiques et les notions morales qui le guident sont celles qui lui ont été inculquées par la religion. Les suivre, appartenir à une communauté, a quelque chose de rassurant pour lui. À moins qu’un événement ne le pousse à trahir ses habitudes, le pratiquants ne remettra pas en question ses pratiques. Il peut tout de même être poussé à croire véritablement dans le dogme et s’engager sur le chemin de la vraie foi mais peut tout aussi bien douter de tout ce qu’il a appris, être tenté par une autre religion ou carrément prendre conscience du non-sens de ses pratiques.
L’agnostique
L’agnosticisme soutient que tout ce qui est de l’ordre du divin embrasse une forme d’absolu et que, l’absolu étant inaccessible à l’intellect des mortels, rien de ce qui est considéré comme divin n’est certain de l’être. L’agnostique ne rejette pas la croyance ni l’objet de la croyance, il se place simplement dans une position contemplative au travers de laquelle toute forme de croyance n’est qu’une interprétation incomplète voire totalement erronée de quelque chose de plus grand impossible à comprendre. Sans nier les phénomènes qui les entourent, les agnostiques ne reconnaissent pas pour autant le visage que d’autres leur prêtent. La curiosité de l’agnostique peut le pousser à explorer différentes voies spirituelles n’en considérant le plus souvent que l’aspect humain, analysant les dogmes en rejetant leurs origines mythiques pour tenter d’y percevoir une explication qu’il est convaincu de ne pas trouver.
L’agnostique se démarque dans une société fortement influencée par la religion, puisqu’il ne pourra admettre les dogmes, il remettra en question tout ce qui justifie l’existence d’un culte. Il ne rejette pas l’idée de croyance attendu qu’il se tient près à croire ce qu’il pourrait comprendre, il rejette simplement l’idée de croire sans compréhension ce qui l’empêche de rejoindre sincèrement quelque mouvement que ce soit.
L’athée
L’athéisme est un courant de pensée qui s’applique plus particulièrement à la croyance en Dieu sur notre terre, mais on peut l’appliquer de façon plus générale à tout type de croyance. Il consiste à soutenir que l’objet de la croyance est totalement infondé et n’existe pas. Cela vaut quand le divin ne s’est jamais incarné de façon évidente dans le monde. Les athées pensent qu’en l’absence de preuves concrètes de l’existence du divin, quand bien même des croyants useraient de dons ou de pouvoirs particuliers issus des pratiques de leur foi, il n’existe aucun dieu. L’athée confine tous les phénomènes inexpliqués dans le domaine de la raison. Ceux qui demeurent inexpliqués après avoir été dûment soumis à la logique restent en l’attente d’une explication mais ne seront jamais considérés comme d’essence divine.
Le rejet du divin isole l’athée de toute forme de pratique religieuse. Sa position lui interdit de s’investir spirituellement sous l’égide d’une quelconque forme de foi. Dans un monde où un ou plusieurs dogmes religieux domineraient les croyances, l’athéisme est une position socialement dangereuse puisqu’elle remet en question toute religion bâtie sur l’existence d’une ou plusieurs déités.
NB : l’athéisme et l’agnosticisme ne sont pas exclusifs mais, dans cette approche, l’on considérera la position de l’athée comme plus « dure » que celle de l’agnostique et comme le rejet plus ou moins prononcé de toute forme de croyances divines et, par voie de conséquence, comme le rejet des religions. Ce sont ici des catégories proposées pour situer la spiritualité des mortels dans un monde imaginaire, non des définitions fermées largement sujettes à débat.
Religion et cultures
La place de la religion dans la culture est parfois très importante, si importante que rien de ce qui constitue la culture d’un peuple n’en est exempt.
Les récits mythiques
Ils s’inscrivent le plus souvent dans la culture orale avant de se nicher au cœur des premiers écrits. Le récit d’un mythe, telle une fiction que l’on raconte à ses enfants avant qu’ils ne s’endorment, a le pouvoir de s’insinuer dans le rêve et d’être l’un des nombreux avatars de l’imagination. Qui, plus de 2000 ans après sa mort, n’est pas fasciné par les récits d’Homère ? Qui ne connaît pas les 12 travaux d’Hercule, ou l’épopée de Persée ? Et encore soupçonne-t-on ces héros d’avoir peut-être réellement existé, mais qu’en est-il des frasques de Zeus ou des conflits qui l’opposèrent à son père et ses oncles et tantes, les Titans ? Qu’en est-il du félon Seth qui découpa son frère Osiris en morceaux, et d’Isis, la femme de ce dernier, qui le reconstitua afin de le ramener du royaume des morts ?
Les récits de la mythologie nous parviennent aujourd’hui de différentes sources, avec différentes version et interprétations. Il est plus que probable que nous ne connaissions qu’une infime partie de ces versions, les seules qui nous soient parvenues étant issue des écrits et illustrations d’époque mises à jour par l’archéologie. Le fait que tant de traces de ces récits mythiques subsistent du passé indique à quel point ils avaient de l’importance dans l’existence de nos ancêtres et forgeaient en grande partie leur culture. Un récit mythique n’est donc pas qu’une trace dans l’histoire, mais un élément de la vie courante quand il ne mène pas à la conception rituelle d’une tradition.
Le texte sacré
L’écrit est sans doute ce qui est le plus intensément marquant dans la culture d’un peuple, attendu qu’avec l’écriture, les idées, et plus particulièrement les dogmes, traversent les âges et se transmettent presque tel quel aux générations futures. Accorder une dimension sacré à un texte revient généralement à ces générations futures. Ceux qui les écrivent ont rarement la prétention (ou la notoriété) d’énoncer des vérités absolues, ce sont ceux qui les lisent qui en voient le caractère prophétique ou idéologique et qui estiment nécessaire de les transmettre à la postérité.
Qu’il se nomme la Bible, le Coran ou la Torah (ou autre, ne sont cités là que les plus célèbres en Europe), le texte sacré devient canonique à partir du moment où il est une référence à la fois pour le culte mais aussi à l’extérieur du culte, touchant jusqu’aux personnes non impliquées spirituellement mais intellectuellement curieuses qui voudraient s’informer sur la religion. Avec le temps, la précision ou le sens d’un texte sacré peut être sujet à interprétation et la réinterprétation est une chose particulièrement dangereuse pour l’intégrité du dogme. Réécrit, illustré, réédité sous de multiples formes, le texte sacré est une base culturelle forte pour un peuple. Quelle que soit l’incarnation physique du texte sacré, tenter de l’altérer ou de la détruire est une profanation.
Les symboles et les icônes
Nées du texte sacré, la symbolique et l’iconographie religieuse est ce par quoi sont illustrés les enseignements du dogme. Elles en représentent les personnages de la mythologie (le trident de Poséidon, la foudre de Zeus, le caducée d’Hermès, le Christ, la Vierge Marie, etc.) ou les concepts ou événements fondateurs ou prophétiques de la religion (la croix de la Crucifixion, l’Ouroboros, l’Etoile de David, la Nativité, le Jugement Dernier, etc.). L’origine des icônes est assez discernables en général, puisqu’elles sont une interprétation directe du dogme. L’origine des symboles, plus diffuse et mystérieuse, est une paternité difficile à préserver au fil des âges en raison des nombreux détournements dont ils sont victimes (ce qu’on dit déjà de la croix gammée nazie basée sur le svastika, un symbole sanskrit de bonne santé ou de bonne fortune).
Les uns comme les autres sont des moyens d’expression qui complètent ou accompagnent le texte sacré. Ils n’ont généralement aucun sens sans la connaissance des mythologies ou des récits fondateurs. Les icônes et les symboles sont défendus pour ce qu’ils sont par les croyants. Beaucoup d’icônes sont des réalisations peintes ou sculptées. Les détourner ou les altérer est une profanation.
Les peintures, les sculptures et autres œuvres écrites
Nombre d’œuvres ne sont pas iconographiques mais sont largement inspirées des mythologies ou des dogmes religieux. La différence avec l’icône est le caractère non-religieux de ces œuvres dans le sens où les représentations et les idées tendent à présenter une version différente, parfois parodique ou simplement pastichée de leur matériau d’origine sans la ferveur et le respect dus à la croyance. Pourtant, malgré leur éloignement idéologique, les œuvres de l’esprit qui naissent sur différents supports, portent en elles une part objective des mythes qui les a inspirés.
Contrairement aux œuvres iconographiques, les œuvres non-religieuses n’ont que leur valeur artistique et ne sont protégées de l’altération ou de la destruction que par le respect dû aux œuvres artistiques. Les brûler ou des démolir ne revêt aucun caractère profanateur, au contraire, les tenants d’une croyances ayant plutôt tendances à juger toute oeuvre non canonique comme hérétique.
Religion et territoires
Les communautés religieuses partagent un lieu de vie isolé ou au contact d’une civilisation. Mais le dogme lui-même peut placer un lieu physique et accessible au cœur de la pratique religieuse, ce qui implique que les communautés religieuses aient un réel et profond attachement à ce lieu.
L’inaccessible
Les lieux saints ou légendaires peuvent être éloignés voire inaccessibles à moins de réunir certaines conditions. Il en sera ainsi des idéaux lointains où la chair ne peut entrer, que seul l’esprit libéré des contraintes matérielles peut arpenter (l’Enfer, le Paradis, le Valhalla, les Champs Elysés, etc.). Il peut éventuellement s’agir d’un autre plan d’existence pure fantaisie ou réalité accessible à la condition de posséder les dons requis. Mais le plus souvent ou pour la plupart, cet endroit reste au mieux un monde imaginaire en lui-même, si ce n’est que le dogme l’établit comme un objectif ou une destination concrète pour l’être réduit à sa seule spiritualité.
Récompense invisible d’une vie dûment remplie par les devoirs de la foi ou destination crainte de ceux qui s’y sont soustrait en connaissance de cause, l’inaccessible est une part du dogme souvent associée à la vie après la mort. C’est d’ailleurs assez souvent un axe fondateur de celui-ci, beaucoup de religions s’efforçant d’apporter une réponse spirituelle à la question de la mortalité.
Les lieux saints ou légendaires
À un niveau moindre que l’inaccessible, on donnera à certains lieux précis et certaines constructions un caractère saint ou divin. Qu’il s’agisse du Mont Sinaï ou du Mont Olympe, du Temple de Delphes ou de la Cathédrale Saint-Pierre du Vatican, les édifices de la nature (donc le plus souvent construit par la main des dieux eux-mêmes) ou des mortels (édifiés dans le but de glorifier leurs dieux) sont, directement ou indirectement, des manifestations du divin. Les communautés religieuses prendront grand soin d’accorder une place de choix à ces lieux de pouvoir dans leurs légendes, ceci afin d’enrichir la mythologie et le dogme, mais aussi pour concrétiser un peu plus la ferveur de la croyance.
Le fréquentation de ces endroits, parfois par le biais du pèlerinage, peut être l’objet d’une quête nécessaire à l’accomplissement de la croyance, une part d’un rituel d’initiation, la condition d’entrée dans un cercle plus réduit d’élu ou un acte de pratique quotidienne. Ce qu’il y a lieu de faire ou d’observer dans ces différents endroits fera probablement l’objet d’une tradition ou d’un écrit à part entière dans le culte.
La terre sacrée
Le concept de la terre sacrée est assez récurent dans l’histoire des religions de la Terre. Jérusalem est l’exemple marquant de notre Histoire qui indique à quel point une terre sacrée peut avoir de l’importance pour la religion, au-delà de toute raison, de tout bon sens, de toute humanité. Il est pourtant nécessaire de considérer que, pour un dogme religieux, la terre qui a vu telle ou telle événement légendaire s’y produire, ou encore, qui est la promesse d’un avenir radieux, devient, pour un peuple guidé par le dogme, un lieu impossible à abandonner et, de fait, un territoire à protéger ou conquérir envers et contre tout.
La religion qui érige en sacré les territoires qu’elle occupe intègre de fait une nouvelle croyance au dogme. Cette dernière exige que le territoire physique soit constamment à disposition des croyants, qu’il s’agit d’un bienfait indissociable de la religion, du culte et de la foi.
Le territoire spirituel
Au-delà de son implantation concrète, le culte doit aussi convaincre et s’installer dans les esprits. Le territoire spirituel est cet objectif incertain qui consiste à modeler la pensée des masses. Cela peut être une conquête noble, destinée à nourrir le peuple d’idées bienveillantes et de l’entraîner sur des voies salutaires. Cela peut aussi être une conquête abusive, orchestrée dans le but de formater les esprits et de renforcer le culte par le nombre et une fidélité sans faille. Pour séduire ainsi les masses, l’arme la plus efficace d’une religion est sa capacité à éduquer. En proposant d’élever les enfants à un niveau de savoir minimum, la religion, soi-disant détentrice de certaines vérités, s’offre la possibilité de former les jeunes esprits à une vision étriquée (et donc plutôt dogmatique) du monde et de ses enjeux, réduisant d’autant la liberté intellectuelle.
Plus de personnes adhèrent au culte, plus celui-ci est développé et puissant. La tendance naturelle des mortels à se laisser porter par les idées du plus grand nombre est un tremplin à l’extension du territoire spirituel d’une religion. En tant qu’idéologie de référence, le dogme s’impose même auprès de ceux qui n’adhèrent pas à la religion. Refuser d’admettre un mythe n’empêche pas de s’intéresser à lui. Lorsque tant de gens croient en un message d’ordre divin, il interpelle forcément ceux qui observent le phénomène socio-culturel qui en découle.
Religion et loi
La croyance implique souvent une notion de moralité et la moralisation de la communauté entraîne l’établissement d’une ou plusieurs lois permettant de cadrer ce qui, dans la société, est du respect de la morale et ce qui ne l’est pas. Gardons en tête que l’esprit des lois apportées par la religion est rarement pérenne. Elles découlent de bonnes intentions, mais les générations mal éduquées sont souvent incapables d’en comprendre la profondeur.
Le droit divin
Cette vision de la loi divine appliquée aux mortels est une façon pratique pour la religion de définir ce que les mortels ont droit ou n’ont pas le droit de faire. L’application de telle loi est à sens unique et, le plus souvent, la religion a tout pouvoir pour les édicter. Si elle peut compter sur un peuple soumis à l’autorité divine, elle dirige alors la société et conduit au modèle théocratique (voir Religion et société – La nation religieuse : la théocratie). Si elle s’impose sur un peuple plus ou moins d’accord avec de tels préceptes, elle est généralement contestées et, si possible, détachée du pouvoir politique.
Ceux qui s’arrogent le droit divin exercent généralement une fonction ou occupent une position importante au sein d’une communauté. Qu’ils s’en vantent ou que leur rôle soit perpétuellement remis en question, les prophètes (Abraham, Moïse, Jésus, Mahomet, etc.) et certains rois (David, Salomon, les Pharaons, Louis XIV, Napoléon Iier, etc.) reçoivent tôt ou tard l’approbation d’un culte pour exercer. Il leur est permis de dire ou de faire ce que bon leur semble, leurs actes s’inscrivent alors dans le dogme, dans le respect de ce qui y est défini ou, au contraire, bouleversant celui-ci pour forger une nouvelle interprétation.
Règles de la vie et de la mort
Dans une moindre mesure, la loi divine qui ne domine pas un peuple, devient un simple guide de spiritualité. Il détaille les règles du jeu de la vie et de la mort, ou, comment il faut être et se comporter pour avoir le droit de bénéficier des services de « l’après-vie » (les 10 Commandements, les Sept Vertus Capitales, etc.). Certaines règles prévoient même les écueils dans lesquels les mortels peuvent tomber (les Sept Pêchés Capitaux etc.), notamment les fautes qu’il peut commettre envers le dogme, l’autorisant à expier ses erreurs (la confession, le repentir, rejoindre les ordres, etc.) pour retrouver l’idéal de conduite que l’on peut appeler ici « le droit chemin » (et (re)devenir ainsi un fidèle).
Ces cheminements spirituels se servent le plus souvent de la crainte naturelle de la mort pour apporter un salut tout à fait illusoire, une sorte de félicité de l’esprit, qui pourra éventuellement amener ceux qui cheminent habituellement en dehors de ces gardes-fou spirituels vers une véritable croyance, ou, tout au moins, à une paix de l’âme, une sorte de résignation face à l’inéluctable. Si le dogme est le fondement du culte, le guide de la spiritualité est le mode d’emploi de la vie selon le dogme.
Tradition
Quand la croyance fondatrice et ordonnatrice n’est plus qu’un souvenir, après que les siècles aient fait disparaître tant la génération des élus que celle des fidèles, une communauté entretient, parfois sans le savoir, une procédure, une recette, une façon de faire héritière de ce dogme et de ces règles de vie qui ponctuaient celle de leurs ancêtres. La tradition est ce que l’on fait et ce que l’on enseigne pour garder la trace et le respect purement intellectuel de ce que le passé religieux (ou non) à transmis. Toutes les traditions n’empruntent pas leurs particularités aux croyances ou aux superstitions, mais parfois leur origine importe moins que la raison qui pousse à les respecter.
Avec le temps, on finit par ignorer pourquoi telle ou telle tradition existe. Dans la conscience collective, de tels reliquats de culture religieuse n’ont pas de sens. Par exemple, dans la culture judéo-chrétienne, on sait généralement pourquoi il ne faut pas être 13 à table, mais ceux qui apprennent cette tradition imprégnée de superstition et l’appliquent (et donc la transmettent) ne savent pas toujours qu’ils ont évité d’inviter Judas à dîner.
Religion et sociétés
Si les croyances et les traditions forgent l’esprit dans lesquelles les communautés sont nées et ont ensuite évolué, les nations qui en découlent sont le reflet des mythes et des dogmes véhiculant leur idéologie première. Selon la force de la ferveur religieuse qui les habite, les sociétés peuvent prendre bien des visages.
La nation religieuse : la théocratie
Il est des nations entières qui sont forgées par et pour le dogme inaltérable d’une religion (telle que l’Egypte antique des Pharaons). Même si, au sein de tels pays, il est rare que tout le monde ait la foi, le culte, suffisamment puissant, a généralement les moyens et la volonté de maintenir le peuple dans l’ignorance des alternatives spirituelles. Pour construire durablement son unité, une théocratie ne dirige pas seulement le pays, elle en canalise sa pensée. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, une théocratie n’est pas nécessairement une dictature. Si le dogme est rempli de bon sens et de sagesse, le peuple, croyant ou non, le suivra de bonne grâce. Les dérives autoritaires ne surviennent que lorsque la pensée du peuple s’égare sur des sentiers hérétiques et que la puissance de la nation est trop dépendante de l’assujettissement de ses masses pour survivre sans elle. Si le dogme ne prévoit pas une échappatoire pour les gens du peuple désireux d’abandonner leurs croyances pour d’autres (ce qui consiste généralement à perdre sa citoyenneté), l’Etat, quant à lui, doit prendre des mesures pour garder sa cohésion.
L’omniprésence du culte, s’insinuant à tous les niveaux de la vie, dans toutes les institutions et dans toutes les organisations, est un rappel constant à la pensée fondatrice et fédératrice de la nation. L’architecture, l’urbanisme, les ornements, les monuments, tout se doit de refléter la religion d’Etat, attendu que l’Etat est une religion. La politisation de la direction du culte a un effet pernicieux sur les enjeux spirituels de la nation, étant donné que toute décision politique se doit de corroborer le dogme et qu’il peut arriver que, l’enjeu politique surpassant l’enjeu spirituel, il faille tordre l’idéologie religieuse pour l’y faire correspondre.
Un pouvoir tiers de forte influence
Que cela résulte de l’évolution d’une théocratie dont le gouvernement s’est affranchi de ses limites dogmatiques ou de la montée en puissance d’un culte qui tente d’en prendre le contrôle politique, une nation peut se retrouver dans une situation de forte dépendance avec une ou plusieurs religions tout en conservant une certaine autonomie politique. Cela a été le cas en Europe pour diverses nation fortement influencée par l’Eglise Catholique Romaine ou le pouvoir religieux, détenu par le Pape, avait une responsabilité et un véritable pouvoir politique au sein de différents Etats, ne serait-ce que le droit de gouverner qui ne pouvait être obtenu sans l’assentiment pontifical. Sans qu’il s’agisse d’une théocratie, une telle influence de la religion sur la gouvernance est généralement liée à la puissance du culte lui-même. Si le peuple est globalement convaincu par la proposition spirituelle d’une religion (et l’est d’autant plus que l’éducation est professée par le culte), il se laisse plus facilement dirigé par un pouvoir politique en accord avec cette même religion. C’est un jeu subtil dans lequel le pouvoir politique et le pouvoir religieux croient se servir de l’autre à ses propres fins.
Une telle situation conduit généralement à désigner une religion dite d’Etat, à savoir une religion officielle, soutenue comme principale pôle de spiritualité pour son peuple. Si ce n’est pas le cas, d’autres religions peuvent croître et tenter de s’attirer les faveurs gouvernementales, le principe reste que la force d’une religion découle du nombre de ses fidèles et/ou de ses accointances avec les membres du gouvernement ou la classe aisée d’un système, lesquels peuvent servir indifféremment l’intérêt de la nation ou l’intérêt du culte.
La religion ainsi installée aux portes du pouvoir politique s’efforce d’être présente à tous les niveaux de la vie du peuple. Elle bénéficiera grandement d’un rôle dans l’éducation des masses où elle pourra répandre ses idées dans les jeunes esprits qui à leur tour feront grandir l’intérêt de se tourner vers elle. Son influence sur la culture est importante et elle participe à la grandeur intellectuelle de la nation. Elle possède généralement sa propre territorialité, ses différents lieux de culte pouvant être considérés comme terres étrangères capables d’accorder l’asile.
Un simple refuge spirituel
Guère mieux que ne le serait un groupe de soutien ou un psychanalyste, la religion peut n’être qu’une alternative sociale à la détresse morale. Le culte est alors très secondaire et la religion elle-même n’est qu’un ensemble d’idées et de préceptes pouvant concrètement mener à la tranquillité de l’âme et à l’apaisement des angoisses, mais n’a plus rien de son caractère religieux (comme le chamanisme ou le druidisme de nos jours, ou encore les formes de néopaganisme). Une telle religion ne défend généralement pas son dogme envers et contre tout. Elle met l’accent sur son rôle sociétal, voire éducatif. Elle n’a d’ailleurs pas le pouvoir et l’influence d’une religion d’Etat. Une religion naissante ou une religion sur le déclin qui se cherche une façon d’exister peut, fort à propos, se retrouver dans cette catégorie.
En devenant une référence lointaine à son propre dogme, une religion de cette nature n’attire pas beaucoup de fidèles et rarement des croyants. Soit la connaissance qu’elle véhicule est très répandue mais ne constitue au mieux qu’un ensemble hétéroclite de savoirs et d’attitudes propre à assurer la bonne santé morale de ceux qui y adhèrent, soit c’est un groupuscule dirigé par des fanatiques ou des menteurs qui n’a d’autre ambition que de rassembler des personnes psychologiquement fragiles dans le but d’abuser de leur confiance et sans autre objet que de creuses promesses (telles que peuvent être les sectes).
En conclusion
Même s’il existe nombre d’entre-deux subtils dans les différentes formes présentées ici que la religion occupe dans le cœur et dans le cadre de vie d’un peuple, il convient surtout de retenir à quel point l’existence d’une croyance, si ténue soit-elle, peut avoir d’impact sur la conception d’un monde imaginaire. Faire dégager à ce dernier un véritable sentiment de piété est loin d’être aisé. Si l’on comprend ou l’on ressent soi-même la nature et la profondeur de la croyance religieuse, c’est sans doute plus facile de se le représenter, mais la mise en oeuvre, dans une fiction, n’atteindra un certain réalisme que si l’on tient compte de tout ce qu’implique l’existence d’une religion sur un plan personnel, spirituel, social, politique et culturel. Si vous prenez le temps de répondre aux questions qui se posent sur chacun des axes évoqués ici, vous aurez un minimum de détails à restituer dans vos écrits ou à vos joueurs pour faire comprendre la place et la teneur d’une croyance et/ou d’une religion dans votre création.
Références
- La Bible, Ancien et Nouveau Testament
- Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales pour les définitions
- Wikipédia pour les développements et les exemples
Illustration : extrait de Elric, Stormbringer par Julien Blondel, Jean-Luc Cano, Julien Telo, Didier Poli, Robin Recht, d’après l’oeuvre de Michael Moorcock aux éditions Glénat (2014)