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Torg, INS, AD&D2

Quand changer d’édition ?

Temps de lecture : 8 minutes

Le renouvellement des gammes de jeux pousse assez régulièrement un éditeur à créer une nouvelle édition de son jeu, soit parce qu’il souhaite corriger des coquilles qui étaient présentes dans les éditions précédentes, le réactualiser ou encore faire découvrir à un nouveau public. Changer d’édition n’est pas forcément une action sans conséquence… les règles évoluent, les systèmes ne sont parfois pas compatibles et voir, les évolutions de background ne vont pas forcément dans ce que vous aviez établis lors de vos campagnes précédentes. Alors, est-il réellement indispensable de passer à une nouvelle édition sous peine de passer pour un vieux schnock rétrograde ?

D’une édition à l’autre

Un changement d’édition n’est pas seulement un copier-coller du texte précédent avec de nouvelles illustrations, des couleurs et une belle couverture en prime… le système de jeu va subir des modifications, parfois attendues et parfois non… mais aussi le background et finalement le jeu en lui-même va être modifié… un jeu héroïque peut devenir assez commun, voir l’inverse : par exemple, beaucoup pensaient que Herowar était une suite à Runequest, alors que tous les fondements du jeu étaient différents alors qu’ils partageaient tous les deux le même univers, l’un orientait les partie sur des personnages typiques du monde de Glorantha alors que l’autre proposait aux joueurs de jouer les héros runiques de cet univers. Est-ce qu’un joueur de Runequest, qui finalement s’attend à jouer à un « Donjons et Dragons » dans Glorantha va apprécier Herowar qui est plus roleplay, héroïque, … ? Pas sûr ! Pourtant, le matériel publié pour l’un peu convenir à l’autre…

Dépoussiérage et rafraîchissement

Les premiers changements d’édition que j’ai connu se limitaient finalement à une simple réécriture des textes du jeu sans trop de changement : le passage de l’Appel de Cthulhu 4 à la version 5… cette nouvelle édition n’apportait que des changements très mineur comme par exemple un dépoussiérage de certaines compétences qui déséquilibraient l’utilisation d’autres (linguistique qui finalement permettait de se passer de l’apprentissage des autres langues). Parfois, ce genre de réécriture permet aussi de mieux comprendre une règle mal décrite dans une version précédente.

Changements constatés

Quelques modifications dans le fonctionnement des règles, peut-être un élément nouveau ou tout un chapitre réécrit. L’impact sur les parties, les personnages et la campagne en cours est souvent très mineur. Au niveau du background, le monde reste le même, avec très peu d’évolution, peut-être simplement les modifications de quelques PNJ par rapport aux nouvelles règles proposées.

Exemples

  • Les deux éditions successives de Stormbringer (Chaosium/Oriflam) qui ne proposent qu’une refonte du système d’invocation de démons.
  • Les éditions successives de L’Appel de Cthulhu… le système n’a quasiment pas changé de la version 3 en français à la 6ème édition…
  • Star Wars D6, à part des apports sur le dé « explosif », quelques précisions sur les combats spatiaux, les pouvoirs de la Force, le jeu reste le même

Refonte

Une refonte est toujours un virage assez compliqué à négocier par les MJ et ses joueurs. Les habitudes de jeux qui étaient prises, les campagnes développées, les personnages vont connaître de gros changements parfois expliqués très maladroitement par le background… bon, quand le changement va dans le bon sens et que finalement vous y constatez du mieux, c’est le plus important, maintenant, il va falloir convaincre vos joueurs.

Remarquez que la pire justification pour un changement de règles est la disparition des assassins entre AD&D1 et AD&D2 justifiées par la mort du dieu Bhaal dans les Royaumes Oubliés (supplément Aventures dans les Royaumes Oubliés qui avait pour but de faire la transition entre AD&D1 et AD&D2 pour cet univers). Lors de la guerre des avatars, Bhaal, dieu des assassins, absorba l’énergie vitale de tous les assassins des Royaumes Oubliés… peut avant de se faire éliminer par Cyric… rigolo à lire (dans le background et les romans), mais beaucoup plus difficile à avaler d’un point de vue règles : imaginez dire à un joueur qui joue depuis 4 ans un assassin que : « Bon, toi dans AD&D2, tu es mort, refais un perso… Bhaal l’a bouffé, c’est écrit dans le manuel des règles. »… quoique, c’est comme dire au joueur d’un bushi du clan Lion expérimenté que « ben, puisqu’il y a eu un coup d’état entre la première et seconde édition de L5R, ton perso est maintenant un ronin ! »… au moins dans L5R, si le MJ est consciencieux – et surtout fortuné – il existe une grosse boîte (Otosan Uchi) qui propose ce coup d’état sous forme d’une grosse aventure, étrangement, la dernière aventure publiée pour L5R première édition !

Changements constatés

Les changements ne sont pas forcément nombreux mais vont avoir un impact sur toutes les actions : par exemple, les niveaux de difficultés sont revus à la hausse ou à la baisse, des types de personnages disparaissent au profit d’autres plus équilibrés peut-être… Les changements sur le background peut être important : avancée dans le temps de plusieurs années, éliminant certains PNJ ou groupes importants pour faire place à de nouvelles menaces ou alliés.

Exemples

  • Les modifications survenues entre la première et la seconde édition de Légende des Cinq Anneaux où la modification des échelles et du nombre de dés lancés change totalement le niveau de difficulté pour  des personnages débutants et réduit le champ d’aptitude des personnages déjà existants… L’impact aussi sur le background est tel que certains personnages deviennent obsolètes ou doivent être joués différemment (disparition du clan Scorpion et du clan Lion par exemple…)
  • Les modifications entre AD&D1 et AD&D2 sur certains classes, comme le barde et l’assassin, l’une refondue dans les classes normales et l’autre totalement disparue…

Réécriture complète

Là, les auteurs ont soit réalisé que ça tenait plus du tout, soit qu’ils viennent de reprendre une licence qui était entre les mains de leur némesis et qu’ils veulent tout brûler… même vos livres, votre tables, … et vos joueurs ! Une telle réédition n’est pas sans conséquence puisque le jeu change du tout au tout : personnages, règles, … et même le background. Généralement, il y a effectivement deux grandes explications à ce genre de grosse refonte totale et complète d’un jeu :

  • Les auteurs souhaitent remettre le jeu au goût du jour qu’ils trouvent trop en décalage avec les autres productions du moment… ça a été le cas pour Donjons & Dragons et ses principales éditions successives, qui ont été systématiquement des points de ruptures sur des communautés de joueurs : certains restant à l’édition précédente, d’autre évoluant… aujourd’hui, je connais encore des joueurs de AD&D2, de D&D3.5 (dont je fais parti), de D&D4 et maintenant de D&D5… sans compter les joueurs des clones de D&D comme par exemple Pathfinder, OSRIC…
  • Les auteurs récupèrent une licence exploitée par un autre éditeur sans la volonté ou la possibilité de continuer le matériel précédent… le jeu est différent et ne reprend que l’univers de jeu, avec peut-être même des ajustements pour les nouvelles règles. Le jeu est souvent totalement différent : Herowar, Stas Wars D20/Saga ou la dernière version de FFG… ce ne sont plus les mêmes jeux et les possibilités de transposer les personnages et la partie sont très compliquées.
  • Le jeu est devenu juste imbitable, il demande à se déplacer avec 100 kilo de matériel pour la moindre partie parce que toutes les règles sont éparpillées par une centaine de manuels, le dépoussiérage termine généralement en une refonte et réécriture complète du jeu, qui permet d’intégrer les add-on présents… au résultat, le jeu n’est plus forcément le même.

Exemples

  • Nephilim, l’arrivée des Arkaïm, l’évolution des règles a fait que les éditions les plus récentes sont très éloignées de la toute première édition
  • Donjons & Dragons, ça on en a parlé juste avant
  • Rolemaster et son gros dépoussiérage au passage au Standard System, ou comment compiler des milliers de pages de règles pour ressortir un système plus unifié
  • L’évolution entre Stormbringer et son petit frère Elric, moins BD et héroïque, mais plus sombre et brutal…

Intégration avec les home-rules

Le plus compliqué vient toujours des règles maisons qui étaient utilisés dans l’édition précédente… parfois les évolutions vont dans le sens de nos home-rules, des fois elles vont à l’opposé… Par exemple, les bonus et malus aux tests de compétences sont clairement exprimés dans les règles que depuis la version 6 de l’Appel de Cthulhu, mais j’ai toujours appliqué un bonus ou malus selon la difficulté. Certaines nouvelles règles vont standardiser des pratiques qu’on retrouve finalement à toutes les tables.

Au delà des règles, c’est plus au niveau des éléments de background d’une nouvelle édition que ça va vite coincer, vous aviez mené votre campagne à L5R et le clan du Crabe s’était vu infligé une grave défaite contre l’outre-monde forçant les clans à mettre de côté leurs querelles pour que l’empire se dresse d’une seule et unique voie ? A ben, c’est dommage, mais les auteurs avaient prévu autre chose ! Est-il forcément indispensable alors d’appliquer tout le background d’une nouvelle édition ? Dans ce cas, il faudra peut-être prévoir quelques ajustements sur les règles pour retrouver les éléments et stats manquantes qui correspondent à votre campagne (par exemple, réadapter des stats d’une famille d’un clan disparue entre la première et seconde édition de L5R pour cette nouvelle édition).

Quand vous décidez de changer d’édition

Voici quelques conseils à suivre avant de passer de but en blanc sur une nouvelle édition d’un jeu… sous peine de le regretter amèrement plusieurs parties après…

Nouvelle campagne et nouveaux personnages ?

J’ai connu plusieurs changements d’éditions qui ont eu des impacts très différents, j’ai laissé assez souvent mes joueurs conserver leurs personnages précédents. Attention tout de même aux guides de conversion « tout prêts » qui souvent pourrisse complètement le personnage, pour ma part, j’ai toujours demandé à mes joueurs de recréer un personnage identique au précédent avec les nouvelles règles. Ainsi, les nouveaux avantages sont tout de suite pris en comptes, et les manques sont comblés par une règle maison ou une négociation avec le joueur sur ce qui peut se faire ou plus se faire maintenant… en variant un petit peu le concept d’origine du personnage. Pour la campagne, si les changements sont trop nombreux sur les personnages, pourquoi ne pas faire vieillir l’ensemble de quelques années ? La campagne se poursuit, mais sur un nouveau chapitre !

Résumer les différences entre les versions

C’est peut-être l’étape la plus importante vis à vis des joueurs, surtout s’ils jouent depuis longtemps avec la version précédente. Présentez les grosses différences dans le système en partant du général vers le détail, et encore, que vers le détail qui les concerne. Si l’évolution va à la régression de leurs facultés (si, ça arrive, dans L5R, on est passé de Caractéristique + Compétence garde Caractéristique à Compétence garde Caractéristique, entre lancer 6 dés et en garder 3 et en lancer 3 pour en garder 3, la différence est énorme !), il faudra sans doute réévaluer les points de compétences que les joueurs avaient précédemment réparti qui prenaient en compte les anciennes règles, la solution la plus fair-play consistant à leur donner quelques points de plus pour contrebalancer le manque.

Pour les règles un peu plus compliquées comme les combats, les courses poursuites, … permettez aux joueurs de prendre contact avec dans une scène où les conséquences ne seront pas désastreuses pour leurs personnages : une bagarre d’auberge à D&D peut permettre de reprendre en main le système de combat, une course amicale de pod sur Tatooine de redécouvrir les règles de combats spatiaux !

Amener les nouveautés au compte gouttes

Les nouveautés n’ont pas besoin d’arriver toutes de but en blanc… apportez les progressivement. Si de nouveaux pouvoirs peuvent être accessibles aux personnages, laissez leur le temps de les découvrir (ça peut être aussi une très bonne idée d’aventure !) et n’en abusez pas à tous les coins de rue ! Les éditions successives de D&D ont toujours été très généreuses sur les nouvelles races, nouvelles classes… pas la peine de mettre des demi-dragons, demi-démons, demi-bidules dans toutes les auberges et de transformer l’auberge du Renard Rusé d’Eauprofonde en Cantina de Mos Eisley !

Si les nouveautés ne vous apporte rien pour la campagne en cours, oubliez les… par exemple les Royaumes Oubliés pour D&D3 apportent leur lot de nouveautés comme par exemple les Malaugrym, les reflets… que j’ai toujours soigneusement ignoré pour ne pas surchargé le background actuel.

Est-ce finalement indispensable de changer d’édition ?

Pour finir, j’ai attendu avec impatience Donjons & Dragons 3 parce que je n’en pouvais plus de maîtriser un truc qui s’étendait sur 12 bouquins… j’en ai été très satisfait, et j’ai suivi la gamme jusqu’à D&D3.5 avant de décrocher parce que D&D4 ne m’apportait pas ce que j’attendais. Un changement d’édition se pense, s’anticipe, se décide, pas seulement seul, mais aussi avec vos joueurs… Pour des mises à jour mineures, la question aussi se pose, est-ce indispensable d’aller acheter tous les suppléments pour Cthulhu V6 quand on les a déjà en version Descartes et qu’ils contiennent finalement rigoureusement la même chose ?


Crédits photographique : photo personnelle, CC by-nc-sa Laurent GÄRTNER 2016

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